Au-delà du choc sanitaire et économique lié au Covid-19, nombre d’événements témoignent de l’accélération des grandes transformations.
L’été 2020 a été dominé par l’épidémie de Covid-19, qui ravage l’Amérique latine, reste hors de contrôle aux États-Unis et connaît un brutal regain en France, en Espagne et en Allemagne. L’ampleur de la récession mondiale est confirmée : elle devrait atteindre plus de 6 %, touchant en priorité les pays développés, dont l’activité chutera de près de 10 %.
Au-delà du choc sanitaire et économique, nombre d’événements témoignent de l’accélération des grandes transformations, donnant raison à Henry Kissinger, pour qui « la pandémie modifiera à jamais l’ordre mondial ». La segmentation de la mondialisation s’opère sous l’effet de la guerre froide entre les États-Unis et la Chine.
La reprise des discussions commerciales ne peut masquer la confrontation globale qui oppose les deux géants du XXIe siècle, exacerbée par le Covid-19 et la perspective de l’élection présidentielle américaine. D’un côté, la Chine a mis à profit le Pearl Harbor sanitaire de l’Amérique pour durcir son totalcapitalisme en renforçant la surveillance de sa population et des minorités – notamment les Ouïgours du Xinjiang – et déployer une politique extérieure très agressive – de la reprise en main de Hongkong en violation des accords de rétrocession et de la Loi fondamentale du territoire aux menaces sur Taïwan en passant par l’annexion administrative des îlots de la mer de Chine du Sud et par les incidents militaires avec l’Inde dans le Ladakh. De l’autre, les États-Unis poursuivent leur escalade dans la guerre technologique avec les sanctions contre Huawei et la menace d’interdire WeChat et TikTok sur le territoire américain.
Après 1945, l’Europe était l’enjeu de la guerre froide entre États-Unis et URSS ; au XXIe siècle, c’est la partition d’internet qui symbolise et détermine la guerre froide entre États-Unis et Chine. La montée en puissance des géants numériques se poursuit de deux côtés, les Gafam représentant désormais 20 % de la valeur du marché d’actions américain (la seule capitalisation d’Apple, qui s’élève à 2 000 milliards de dollars, dépassant celle du CAC 40), tandis qu’Ant Group, filiale d’Alibaba gérant le service de paiement mobile Alipay, réalise à Hongkong une introduction en Bourse record.
Mais c’est la Chine qui a l’avantage au plan économique puisqu’elle terminera l’année avec une croissance légèrement positive, grâce à la reprise de la consommation intérieure et des exportations, tandis que les États-Unis connaîtront une récession historique de 7,5 % qui aura jeté au chômage 50 millions d’Américains et porté la dette publique à 130 % du PIB d’ici à 2021.
Les démocratures ont mis à profit la paralysie et la désunion des démocraties pour amplifier leur recours à la force et déployer leurs ambitions de puissance.
L’empoisonnement d’Alexeï Navalny, venant après ceux d’Anna Polikovskaïa en 2003, d’Alexandre Litvinenko en 2006 ou la tentative d’assassinat contre Serguei Skripal et sa fille en 2018, rappelle que la Russie de Vladimir Poutine reste fondée sur la peur et le mensonge. En Biélorussie, la fraude massive lors de l’élection présidentielle du 9 août puis la répression des manifestations de protestation par Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis vingt-six ans, éclaire la véritable nature des régimes autoritaires ou des démocraties illibérales dérivés du modèle russe, qui échangent la suppression effective des libertés contre une stabilité illusoire.
En Turquie, Recep Erdogan cherche à masquer la dégradation rapide de la situation économique et financière de son pays par la reconstitution de l’Empire ottoman, notamment avec la revendication, au mépris du droit international, de la souveraineté turque sur une large partie de la Méditerranée orientale et de la mer Egée – déploiement de bâtiments scientifiques et militaires à l’appui -, afin d’accaparer les gisements de gaz qui pourraient représenter l’équivalent des réserves norvégiennes.
La gigantesque explosion qui a ravagé Beyrouth dans un Liban en ruines puis le coup d’État militaire au Mali ont enfin souligné l’effondrement de très nombreux États, particulièrement au Moyen-Orient et en Afrique – où le Sahel devient un nouvel Afghanistan caractérisé par une victoire militaire impossible et une défaite politique assurée. Si leurs citoyens en sont les premières victimes, ils génèrent également des menaces, en ouvrant de larges espaces aux djihadistes et en devenant des sources d’exportation de chaos et de violence non seulement dans leur région mais vers l’Europe.
La lutte contre l’épidémie de Covid-19 et la récession inédite qu’elle a déclenchée ne doivent pas occulter la montée des risques stratégiques qui pèsent sur les démocraties.
(Chronique parue dans Le Figaro du 31 août 2020)