Notre pays n’a plus le droit à l’erreur. Notre économie subit non seulement la récession la plus sévère, mais sa reprise est fragile et hémiplégique.
Avec son plan de relance, la France joue sa dernière chance pour éviter son déclassement parmi les pays du sud de l’Europe et sa transformation en pays « démergent », enfermé dans la décroissance et la paupérisation. Outre un terrible bilan sanitaire avec plus de 30 000 morts, elle connaît en effet la pire crise économique et sociale du monde développé, caractérisée par une récession de 12 % du PIB, une hausse du chômage autour de 12 % des actifs, une envolée de la dette publique au-delà de 120 % du PIB en 2020. Par ailleurs, compte tenu de l’état des finances publiques, c’est la dernière fois que la France peut emprunter plusieurs centaines de milliards d’euros pour tenter de reconstruire une économie compétitive et écologiquement soutenable.
Or les expériences des dernières décennies ne laissent pas d’inquiéter. En 1975 puis en 1981, la France, alors quatrième économie mondiale, réagit aux chocs pétroliers par des relances keynésiennes solitaires et ruineuses, qui amorcèrent quatre décennies de décrochage. Au début des années 1990 face à la récession, comme en 2008 face au krach du capitalisme mondialisé, elle choisit de soutenir la consommation par la hausse des dépenses sociales, avant de recourir en 1995 et en 2010-2012 à des chocs fiscaux calamiteux qui la coupèrent des reprises mondiales.
Chaque récession, chaque choc a ainsi vu notre économie descendre une marche supplémentaire à travers la baisse de la croissance potentielle et des gains de productivité, l’accélération de la désindustrialisation, l’installation d’un chômage permanent, la hausse des dépenses et de la dette publiques. Si les présidents et les majorités ont varié, les erreurs sont restées les mêmes : la préférence pour la relance par la consommation, réputée plus rapide mais en réalité plus favorable au service des clientèles électorales ; le déni de la compétitivité, de l’investissement et de l’innovation ; l’expansion continue de l’État-providence qui amortit les crises mais ralentit leur sortie et interdit la modernisation de l’appareil de production ; la concentration des efforts sur le secteur privé pour mieux sanctuariser les surcoûts et l’inefficacité de l’État.
Notre pays n’a plus le droit à l’erreur. La situation est en effet critique. Notre économie subit non seulement la récession la plus sévère, mais sa reprise est fragile et hémiplégique. À l’inverse de la Chine, qui a renoué avec une croissance de 3,2 % au second trimestre grâce au retour à la normale de la production, l’activité reste en France inférieure de 10 % à son niveau d’avant-crise. La raison est à chercher dans l’effondrement de l’investissement – en chute de 40 % – et des exportations, alors que la consommation s’est redressée à hauteur de 97 %. L’industrie, sinistrée, fonctionne à 70 % de ses capacités. Faute d’offre nationale, le déficit commercial explose, atteignant 7,1 milliards d’euros en mai après 5,1 milliards en avril et 3 milliards en mars, le déficit hors énergie culminant à 6,3 milliards tandis que les exportations stagnent.
Or force est de constater que le plan de relance annoncé par le président de la République et détaillé par le premier ministre s’inscrit dans la continuité des échecs passés, en privilégiant la redistribution sur la production, la protection sur l’innovation. Point positif, les hausses d’impôts qui réaliseraient instantanément l’euthanasie de la reprise ont été pour l’heure exclues. Mais l’avalanche des dépenses est très loin de dessiner une stratégie cohérente de redressement.
Sous la revendication du bon sens pointe la constance des fausses orientations.
Premièrement, la priorité reste donnée non pas à la modernisation de l’appareil de production mais à l’achat de la paix sociale par l’emballement de la machine à redistribuer : revalorisation de 100 euros de l’allocation de rentrée scolaire et repas à un euro pour les étudiants boursiers, alors qu’il faudrait investir dans l’éducation et l’enseignement supérieur dont la dégradation se poursuit ; création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pour la dépendance alors que le déficit du système de retraites atteindra 30 milliards d’euros à la fin de 2020 ; programmation de 6 milliards d’investissements dans la santé, en plus des 8,1 milliards de la conférence de « Ségur » et des 13 milliards de reprise de la dette, le tout centré sur l’hôpital et sur les rémunérations, sans réforme de l’organisation sanitaire, sans effort sur le numérique, sans amélioration de l’accès aux soins et de leur qualité ; transition écologique axée autour de la rénovation thermique des bâtiments qui se réduit à une aide supplémentaire aux ménages.
Deuxièmement, seuls 40 des 100 milliards sont affectés à la production et à l’industrie, qui ne compenseront pas les pertes enregistrées par les entreprises en 2020 (la baisse de 290 milliards d’euros du PIB est supportée à hauteur de 200 milliards par le déficit budgétaire, 20 milliards par les ménages et 70 milliards par les entreprises).
Troisièmement, en lieu et place d’une profonde réforme de l’État, de sa décentralisation et du réinvestissement massif dans les fonctions régaliennes, il est prévu de poursuivre les créations de postes dans la fonction publique en les affectant aux services territoriaux – et ce alors que certains d’entre eux comme les ARS ou les rectorats ont fait la preuve de leur faillite.
Quatrièmement, enfin, rien n’est dit sur le financement de ces dépenses nouvelles, en dehors du principe du cantonnement de la dette Covid qui se réduit au maquillage des comptes publics, à l’égal de la Grèce et de l’Italie.
Dépenser n’est pas relancer. La France est en passe de saupoudrer et de dilapider 100 milliards d’euros pour rien, faute de stratégie et de courage politique. Et cet alors que son appareil de production est exsangue et que sa reconstruction, vitale pour le redressement du pays, passe par la mobilisation de l’effort national en attendant les fonds européens dont le versement n’interviendra pas avant 2022. Le contraste est total avec l’Allemagne qui tire toutes les conséquences de la reconfiguration de la mondialisation en blocs régionaux pour réassurer le grand marché tout en assurant sa domination, à travers un plan de 1 300 milliards d’euros au service de l’investissement, de l’innovation, de la conversion numérique et écologique de son industrie, à commencer par l’automobile. Le bon sens et la raison sont plus que jamais à Berlin ; la stagnation, le chômage et les dettes à Paris.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 juillet 2020)