Hormis quelques exceptions comme l’Allemagne, il faudra au moins une décennie pour résorber les dommages créés par l’épidémie.
La France vécut l’année 1939 sous le signe de la drôle de guerre durant laquelle elle célébra la chronique de sa victoire annoncée sur l’Allemagne nazie grâce à la ligne Maginot, avant de s’écrouler lors de la débâcle de juin 1940. Elle est en passe de faire de l’année 2020 celle de la drôle de crise. Notre pays s’apprête à connaître une récession de 12 % du PIB, la plus violente depuis 1944 et la plus profonde du monde développé. Pourtant, l’heure n’est pas à la mobilisation pour tenter de rattraper la production perdue mais à retarder le déconfinement jusqu’à l’été pour ne reprendre l’activité qu’en septembre. Et ce grâce à la protection du chômage partiel et des prêts garantis par l’État au plan national, des programmes de rachat de dettes publiques par la BCE et du plan de relance de l’Union au plan européen, qui sont censés immuniser les Français contre le choc le plus dévastateur depuis la Grande Dépression des années 1930.
Tout ceci relève de la grande illusion. L’épidémie de coronavirus ne constitue pas un choc conjoncturel mais une rupture historique. Même en cas de découverte d’un vaccin ou de traitements, plusieurs années seront nécessaires pour contrôler le virus, durant lesquelles les modes de travail, de consommation et de vie seront bouleversés. Hormis quelques exceptions comme l’Allemagne qui retrouvera son niveau de richesse dès la fin 2021 et restera en plein emploi, il faudra au moins une décennie pour résorber les pertes et les dommages créés par l’épidémie en termes de baisse de la croissance, de chômage et de surendettement.
Ceci est tout particulièrement vrai de la France qui veut croire que le pire est derrière elle avec l’épidémie alors qu’il est devant elle avec la cascade des faillites, des destructions d’emplois, des crédits impayés et des dettes. La chute de l’activité sera largement supérieure à celle des pays développés (7 %) et de la zone euro (9,1 %). Elle représente une diminution de revenu de 4343 euros par Français. Le taux de chômage dépassera à la fin de l’année 12 % de la population active en raison de la disparition de plus d’un million d’emplois, tandis que la dette culminera à 121 % du PIB, soit 39.552 euros par Français. L’ampleur de la récession et la lenteur de la reprise ne permettront pas à la France de retrouver son niveau de richesse de la fin 2019 avant 2023 au mieux, 2025 au pire, et provoqueront un chômage structurel qui touchera plus d’un actif sur dix. La France est en voie de japonisation, cumulant vieillissement démographique, stagnation et surendettement public, mais avec le chômage permanent en plus.
Le décrochage spécifique de la France s’explique par la structure de son économie, caractérisée par la faiblesse de l’industrie, l’importance des services et du tourisme, ainsi que par son affaiblissement. Elle a abordé l’épidémie très fragilisée par le mouvement des « gilets jaunes » puis les grèves contre la réforme des retraites, avec une activité en récession dès la fin 2019, un déficit et une dette publics de 3 % et 100 % du PIB, des entreprises sous-capitalisées et surendettées à hauteur de 155 % du PIB.
Les conséquences sociales et politiques sont potentiellement dévastatrices. Cet engrenage n’est pas fatal et il est encore temps d’enrayer la débâcle économique. Mais cela suppose de réviser la stratégie de sortie de crise qui est en train, comme en 2009, de faire passer la France à côté de la reprise. Et ce en raison de deux erreurs cardinales : le retard du déconfinement qui fait pendant à l’impréparation devant l’épidémie ; le déversement d’argent public tous azimuts en fonction de plans sectoriels et de revendications catégorielles.
La phase défensive de réassurance des entreprises et du revenu des ménages a été mise en œuvre de manière efficace, même si son coût (327 milliards de garantie et 31 milliards de chômage partiel) est démesuré en raison d’un confinement excessivement rigoureux. En revanche, le plan de relance est pensé, organisé et orienté pour pérenniser tout ce qui a échoué au cours des dernières décennies et qui a massivement dysfonctionné durant la crise sanitaire. Il ne remédie en rien au déficit d’État stratège, à l’absence de résilience de la nation, au manque de fonds propres des entreprises, au retard technologique, au désordre des finances du pays. Il vise à sanctuariser un modèle insoutenable en relançant les aides sociales et la redistribution avec la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale consacrée à la dépendance, en saupoudrant les crédits vers les activités, les entreprises et les technologies du passé au lieu d’investir dans l’innovation, les technologies numériques, la transition écologique ou la sécurité. Et ce à l’inverse du choix effectué par l’Allemagne d’un soutien macroéconomique massif à la transformation de son économie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 15 juin 2020)