La reprise tardive du championnat en France, à contre-courant de l’Espagne ou de l’Allemagne, symbolise cruellement notre déclassement.
En juin 2010, lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, l’équipe de France devint la risée de la planète en refusant de descendre de son bus et en faisant la grève de l’entraînement pour protester contre l’exclusion de Nicolas Anelka, qui avait insulté le sélectionneur, Raymond Domenech. En 2020, deux ans après la résurrection de l’équipe de France et son second titre mondial à Moscou, c’est tout le football français qui se couvre de ridicule. Les dirigeants de la Ligue professionnelle font mieux que les grévistes de Knysna. Depuis leur décision d’arrêter de manière prématurée la saison 2019-2020, en raison de la crise sanitaire, pour ne reprendre la compétition que le 23 août, le football professionnel n’a même plus à monter dans le bus ; il reste à la maison, sans entraînement ni match, attendant son salut de l’État qui est imploré, après un prêt garanti de 225 millions d’euros, de lancer un plan de relance pour sauver les clubs sinistrés.
L’épidémie de Covid-19 a bon dos. Car hormis de rares exceptions comme la Belgique, l’Écosse ou les Pays-Bas, toute l’Europe du football a retrouvé le chemin des stades. En Allemagne, la Bundesliga rejoue depuis le 16 mai, à huis clos, certes, mais à la satisfaction générale. Les matchs reprendront le 11 juin en Espagne, le 17 juin au Royaume-Uni, le 20 juin en Italie. L’arrêt des compétitions jusqu’à la fin de l’été constitue donc une exception française. Il plonge dans le chaos non plus la seule sélection nationale mais tout le football professionnel.
Sur le plan sportif, le championnat interrompu laissera un goût amer aux supporteurs, mais aussi aux téléspectateurs sans lesquels le football professionnel ne peut vivre. L’arrêt des compétitions entraîne en effet pour les clubs un manque à gagner compris entre 500 et 800 millions d’euros pour des recettes nettes estimées à 2,6 milliards d’euros. Et ce en raison de la baisse des droits télévisés (Canal + et BeIN Sports n’ont payé que 47 millions sur les 290 prévus en avril et en juin), de l’arrêt des ventes de billets et produits dérivés, de la chute du sponsoring. Simultanément, le marché des transferts, dont les clubs attendaient 840 millions de plus-values d’ici à la fin juin, est bloqué. Résultat : les pertes d’exploitation de la Ligue 1, attendues autour de 1 milliard d’euros, dépasseront 1,5 milliard. La plupart des clubs sont tout simplement en faillite.
Avec l’interruption du championnat, le football français acte sa relégation en seconde division. Le football reste un jeu avant d’être un produit, et un sport avant d’être un marché. Les titres mais aussi les meilleurs joueurs, les investissements et les droits télévisés iront toujours vers ceux qui jouent et non pas vers ceux qui sont en grandes vacances. Les dommages sont loin de se limiter aux clubs professionnels. Le football reflète en effet les mœurs et l’esprit des nations. La marginalisation de notre football symbolise aujourd’hui le déclassement de la France. Le refus de jouer avant la fin août conforte les Français dans la conviction que l’épidémie de Covid-19 est l’occasion d’effectuer un pont géant entre la mi-mars et la rentrée de septembre, le tout aux frais de l’État, dont les ressources sont présumées gratuites et illimitées. Et ce alors que l’économie française s’apprête à connaître une récession historique de 12 % du PIB.
En Allemagne, la reprise de la Bundesliga a servi de symbole et d’accélérateur à la reprise, en matérialisant l’espoir d’une sortie de crise. L’Espagne, le Royaume-Uni et l’Italie ont également compris que le football doit rejouer pour que le pays reparte. La France, elle, a choisi sa place en Europe : bonne dernière.
« Au-delà de la qualité et du talent, souligne à raison Didier Deschamps, il y a deux aspects très importants : l’unité du groupe et l’état d’esprit. » La France du football comme la France en général regorgent de qualités et de talents ; il ne leur manque que l’essentiel : l’unité du groupe et l’état d’esprit. Cessons de tricher, de creuser les pertes et les déficits, d’accumuler les faillites et les chômeurs, reconstruisons la France ! Redémarrons immédiatement le football pour relancer l’économie et refaire la nation !
(Article paru dans Le Point du 9 juin)