En transformant son pays en laboratoire du populisme, Jair Bolsonaro le plonge dans le chaos.
Après les États-Unis, le Brésil est devenu l’épicentre de l’épidémie de Covid-19. Avec 1 000 morts par jour, il est désormais le quatrième pays le plus touché et devrait rapidement prendre la deuxième place après les États-Unis, alors même que les statistiques officielles sous-estiment fortement le nombre des victimes comme celui des cas de contamination.
Le désastre sanitaire s’accompagne d’un effondrement économique. Le Brésil cumule en effet l’impact de la pandémie avec la chute du prix des matières premières et de l’énergie, ainsi que le fort ralentissement de la Chine, qui absorbe le quart de ses exportations. La récession atteindra 7 % du PIB en 2020, entraînant une hausse du chômage de 12,2 % à 18 % de la population active et une baisse de 20 % de l’investissement. La dette publique bondira à plus de 90 % du PIB. Enfin, la fuite des capitaux accélère la dévaluation du réal, qui a perdu 40 % de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année. Avec une croissance attendue autour de 4 % en 2021, le Brésil mettra plusieurs années à retrouver son niveau de richesse de 2019. D’où une baisse des revenus qui aggravera la crise sociale et humanitaire – que l’aide de 600 réaux, soit 100 euros, alloués aux ménages les plus pauvres est loin d’enrayer. La désintégration de la classe moyenne a ramené plus de 30 millions de personnes dans la pauvreté. Quant à la violence, elle sévit à l’état endémique. Et la multiplication des scandales liés à la corruption a discrédité la classe dirigeante.
La situation paraît d’autant plus incontrôlable que le Brésil se trouve plongé dans le chaos politique. Jair Bolsonaro s’inscrit dans les pas de Donald Trump. Il s’est enfermé dans le déni de l’épidémie comme dans celui du réchauffement climatique. Il multiplie les atteintes à l’État de droit, n’hésitant pas à affirmer : « La Constitution, c’est moi ! » L’instabilité chronique du gouvernement, marquée par les démissions en chaîne, laisse de plus en plus de pouvoir aux militaires, qui occupent désormais 9 des 22 postes du cabinet. Visé par une trentaine de procédures de destitution, contesté chaque soir par des concerts de casseroles, Bolsonaro s’est engagé dans une fuite en avant populiste, radicalisant son discours et polarisant une nation divisée et fragilisée par d’immenses inégalités sociales et territoriales.
La catastrophe brésilienne est paradoxale. Elle n’avait rien de fatal, car le pays disposait a priori d’atouts sérieux pour affronter le Covid-19 : une population jeune ; l’expérience des épidémies tropicales, dont Zika ; une forte industrie pharmaceutique ; un système de santé public gratuit et universel. Mais ces points forts ont été réduits à néant par l’irresponsabilité de Jair Bolsonaro, dont le populisme constitue la raison première de la descente aux enfers du Brésil. Son déni de l’épidémie, son mépris pour la science – alliant refus des tests et recommandation d’un traitement systématique par l’hydroxychloroquine – ont annihilé toute stratégie sanitaire. Sa dénonciation forcenée du confinement décidé par les maires et gouverneurs des villes et États les plus touchés – il a même proposé d’armer la population pour s’y opposer –, a installé une atmosphère de guerre civile.
Pour le Brésil, le pire est à venir. L’épidémie, dont le pic est loin d’être atteint alors que l’hémisphère Sud entre dans la saison froide, pourrait faire entre 120 000 et 200 000 morts. La décennie 2020 se présente comme une nouvelle décennie perdue, à l’image des années 1980 marquées par la crise de la dette, confirmant l’incapacité chronique du pays à décoller. Le choc concerne par ailleurs toute l’Amérique latine.
Le Brésil de Jair Bolsonaro constitue l’un des laboratoires du populisme, dont il illustre tant la faillite que la force paradoxale. La pandémie met à nu les incohérences et la dramatique irresponsabilité du populisme. Loin d’apporter la sécurité et la prospérité, il se révèle incapable de répondre aux besoins essentiels des citoyens et ruine les nations. Mais, dans le même temps, la catastrophe sanitaire, économique et sociale renforce l’environnement de peur, de déraison, de demande éperdue de protection qui le conforte. Le Brésil nous rappelle ainsi que l’échec avéré du populisme ne suffira pas à sauver la démocratie ; son salut passe par l’invention d’un nouveau contrat économique, social et politique ainsi que par le réengagement des citoyens dans la défense de la liberté.
(Article paru dans Le Point du 4 juin)