La crise sanitaire impose une refonte de l’institution, utilisée par une Chine total-capitaliste comme levier contre les démocraties.
Au moment où l’humanité affronte l’épidémie la plus grave depuis la grippe espagnole, l’Organisation mondiale de la santé traverse une crise sans précédent. Fondée en 1948, sa mission première consiste à gérer les épidémies et les crises sanitaires. Elle dispose pour cela de pouvoirs juridiquement contraignants vis-à-vis des 194 États qui siègent en son sein. L’OMS joua ainsi un rôle majeur dans le cantonnement de l’épidémie de Sras en 2003 : elle contraignit alors Pékin à s’ouvrir aux experts puis à mettre en place et financer les mesures sanitaires qui permirent de limiter la diffusion du virus à la Chine et à sa périphérie immédiate. À la suite de cette alerte, en 2005, les règles sanitaires internationales furent renforcées.
Force est de constater qu’en dépit de l’extension de ses pouvoirs, le rôle de l’OMS a été aussi contestable face au Covid-19 qu’il avait été exemplaire face au Sras, comme en témoigne son assemblée générale, tenue en ligne les 18 et 19 mai. Elle aurait dû être consacrée à l’accélération des recherches et à la définition d’un accord sur l’accès universel aux médicaments, tests, vaccins et équipements nécessaires à la lutte contre le Covid-19. Or les débats ont été monopolisés par les dysfonctionnements de l’OMS dans la gestion de l’épidémie et par le statut de Taïwan, qui, forte de son remarquable pilotage de la crise sanitaire (7 morts pour 23 millions d’habitants), entendait réintégrer le statut d’observateur qui lui avait été accordé de 2009 à 2016 avant de lui être retiré sous la pression de la Chine.
L’OMS se trouve ainsi happée par la politisation de l’épidémie au plan international comme à l’intérieur des nations, où elle est transformée en arme fatale contre la démocratie par les autocrates et les populistes. L’assemblée générale a ainsi été le théâtre d’une sévère passe d’armes entre les États-Unis et la Chine. Xi Jinping a écarté les accusations de retard et d’opacité et refusé la constitution d’une mission d’enquête internationale sur les origines de l’épidémie, tout en promettant de partager un éventuel vaccin et de consacrer 2 milliards de dollars en deux ans à la lutte contre le Covid-19. Donald Trump a répliqué en accusant l’OMS d’être une marionnette de Pékin et en menaçant de suspendre tout financement si des améliorations majeures n’intervenaient pas dans les trente jours. À l’initiative de l’Union européenne, une résolution a finalement été adoptée en faveur d’une évaluation impartiale, indépendante et complète de la réponse de l’OMS à l’épidémie de Covid-19. Cet audit semble mort-né car il passe par une enquête sur la manière dont les autorités chinoises ont été informées de l’existence de l’épidémie et l’ont gérée entre novembre 2019 et la mise en quarantaine de Wuhan et du Hubei le 23 janvier 2020, ce que Pékin n’acceptera jamais.
Pourtant, il ne fait pas de doute que l’OMS a lourdement failli. L’organisation a acté la déclaration tardive de la maladie par la Chine, le 31 décembre 2019, alors que les premiers cas étaient connus dès novembre. Elle a rendu des conclusions très prudentes sur l’éventualité d’une transmission humaine lors de son inspection à Wuhan les 20 et 21 janvier. Elle n’a déclaré la pandémie que le 11 mars 2020. Elle a multiplié les déclarations louangeuses sur le traitement de l’épidémie par la Chine et critiqué les pays fermant leurs frontières avec elle.
L’épidémie de Covid-19 souligne donc la nécessité d’une refondation de l’OMS impliquant le renforcement du secrétariat général et la création d’un corps d’inspecteurs sanitaires internationaux disposant de pouvoirs d’investigation propres. Simultanément, le financement devrait être assuré par des ressources permanentes et non par des contributions volontaires, provenant des États membres ou de fondations privées. Enfin, les médecins lanceurs d’alerte, à l’image du docteur Li Wenliang, ont vocation à être reconnus et protégés.
La crise de l’OMS est surtout emblématique de la déliquescence du système multilatéral sous les coups de boutoir de Donald Trump. Le retrait désordonné des États-Unis laisse les organisations internationales à la merci de la Chine, qui s’en sert comme levier pour promouvoir son modèle total-capitaliste. Pékin a conduit en parallèle la montée en puissance de son économie, le développement de son influence au sein du monde émergent et la prise de contrôle du système onusien, dont elle dirige quatre des quinze commissions. L’OMS en est exemplaire, qui est passée sous influence de la Chine en même temps qu’elle s’imposait comme l’usine pharmaceutique du monde, forte d’un quasi-monopole sur les principes actifs des médicaments. La crise de l’OMS est riche d’enseignements :
- Les institutions multilatérales jouent un rôle clé dans la gestion des risques globaux du XXIe siècle.
- La prise de contrôle du système onusien par la Chine acte l’absurdité et l’échec de la stratégie isolationniste de Donald Trump.
- Les démocraties occidentales doivent se réengager dans le multilatéralisme, mais aussi auprès des pays émergents.
- L’indispensable réforme de l’OMS, qui doit viser le renforcement de ses pouvoirs et la restauration de son indépendance, a pour pendant le réinvestissement massif des démocraties occidentales dans leur système de santé mais aussi dans l’industrie biomédicale, vitale pour leur sécurité.
(Article paru dans Le Point du 28 mai)