L’engrenage fatal de la dépression ne peut être enrayé que par un ambitieux plan européen de reconstruction.
Le plan de relance que négocie l’Union est celui de la dernière chance. Il porte autant sur la réassurance de l’économie, confrontée à une chute de l’ordre de 10 % du PIB en 2020, que sur la survie de l’intégration du continent. La pérennité de l’euro est menacée par la divergence entre pays du Nord et du Sud. L’État de droit européen est contesté par la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 5 mai 2020 qui remet en question la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. Enfin, l’ouest et l’est du continent se déchirent autour du conflit entre démocratie libérale et illibérale.
L’Union a certes réagi au choc économique plus rapidement et efficacement que lors du krach de 2008. Mais l’onde de choc des faillites et du chômage reste devant nous, notamment avec la sortie du dispositif de chômage partiel qui assure la rémunération de 34 millions de salariés en Allemagne, en France, en Italie et en Espagne.
Et l’engrenage fatal de la dépression ne peut être enrayé que par un ambitieux plan européen de reconstruction.
L’Union, seule, peut en effet accélérer la reprise et prévenir l’éclatement de l’euro et du grand marché. Forte de ses marges de manœuvre financières qui lui ont permis d’engager 995 milliards d’euros d’aides d’État – soit plus de la moitié des financements approuvés par la Commission -, l’Allemagne retrouvera dès 2021 son niveau de production et restera en plein emploi. À l’inverse, l’Italie verra son PIB décrocher de 11 à 12 % et la dette publique s’envoler autour de 160 % du PIB en 2020, sur fond de recul des revenus en dessous de leur niveau de 1999 et de sinistre des régions du nord qui génèrent 40 % de ses richesses et 50 % de ses exportations.
La proposition rendue publique le 18 mai par l’Allemagne et la France de créer un fonds de reconstruction d’un montant minimum de 500 milliards d’euros constitue une réelle avancée.
Elle repose sur un financement par un emprunt de l’Union intégré à son budget, qui serait relevé autour de 2 % du PIB. Elle prévoit des transferts et non des prêts vers les régions et les secteurs d’activité les plus touchés.
Pour autant, des points majeurs restent à préciser : le montant définitif du fonds et sa période de remboursement ; le niveau et la durée du déplafonnement du budget de l’Union ; la clé de répartition des transferts ; les dépenses éligibles qui pourraient porter en priorité sur la lutte contre le réchauffement climatique, la santé, et la sécurité. Surtout, il reste à obtenir l’accord tant de la Commission européenne, qui s’est vue court-circuitée, que des vingt-cinq autres États partenaires.
Présenté comme un succès pour Emmanuel Macron, ce projet porte en réalité la marque d’Angela Merkel, qui a eu l’habileté de s’effacer pour secourir le président français, très affaibli par sa gestion défaillante de l’épidémie de Covid-19, tout en évitant d’afficher le leadership de l’Allemagne, de plus en plus seule en Europe du fait du déclassement de la France.
Deux raisons l’ont convaincue de prendre l’initiative. La décision de la Cour de Karlsruhe, qui, pour être contestable sur le fond, impose un rééquilibrage budgétaire de la politique économique européenne.
La recomposition de la mondialisation en blocs régionaux, le recentrage de la Chine sur son marché intérieur ainsi que le tournant nationaliste et protectionniste des États-Unis ne laissent pas à l’Allemagne d’autre option que l’Europe, le grand marché représentant 60 % des exportations qui entrent pour 47 % de son PIB.
Le fonds de relance européen s’inspire ainsi très logiquement des positions de Berlin qui assumera la première part dans son financement. Sa taille, qui paraît imposante, est limitée à 3,4 % du PIB de l’Union et ne compensera qu’un tiers environ des pertes d’activités. Tout principe de mutualisation de la dette est exclu.
Enfin, les transferts seront encadrés par deux conditions que la France notamment aura beaucoup de mal à remplir : une politique économique saine et un ambitieux agenda de réformes structurelles.
En dépit de ses ambiguïtés, le projet de fonds constitue un premier pas très important vers la reconstruction de l’Europe. Il mérite cependant d’être clarifié, accompagné et complété. Il doit être clairement orienté vers le rattrapage du retard accumulé par l’Europe en matière d’investissement et d’innovation, particulièrement dans les secteurs du numérique, de la sécurité et de la transition écologique, ainsi que vers la modernisation des modèles économiques et sociaux insoutenables des pays du sud. Pour être pleinement efficace, il convient de le coupler à l’achèvement du grand marché dans les domaines du numérique, de l’énergie et de l’environnement, des banques et des marchés de capitaux. Enfin, il invite à accélérer la refondation de l’Europe : l’Union monétaire est progressivement adossée à un début d’Union économique ; elle reste en attente de la clé de voûte que constitue l’Union politique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 25 mai 2020)