L’Occident a perdu sa crédibilité et montré sa vulnérabilité en échouant à gérer les risques systémiques et les chocs qui caractérisent le XXIe siècle.
L’Occident a dominé le monde de la fin du XVe siècle au début du XXe siècle, exportant ses modes de production, ses institutions et ses idées sur tous les continents à travers trois grands mouvements de mondialisation : le XVIe siècle avec les grandes découvertes ; le XIXe siècle avec la convergence de la colonisation, de la révolution industrielle et du libre-échange ; la fin du XXe siècle avec l’effondrement de l’empire soviétique, l’universalisation et la dérégulation du capitalisme, le basculement dans l’ère numérique. Le succès de l’Occident a reposé sur quatre principes : l’invention du capitalisme ; le progrès de la science pour connaître et valoriser l’univers ; la construction de la liberté politique qui permet aux individus et aux nations de décider de leur destin ; enfin, la conscience de l’unité et de la solidarité des nations libres face aux sociétés d’Ancien Régime puis aux totalitarismes.
La troisième mondialisation a semblé marquer le triomphe de l’Occident, en faisant entrer l’humanité dans l’âge de l’histoire universelle. Elle a en réalité provoqué sa chute. La part des grands pays développés dans la production mondiale a été ramenée de 45 à 30 % tandis que le centre de gravité du capitalisme basculait vers l’Asie.
Le système géopolitique est devenu multipolaire et le leadership des États-Unis s’est décomposé en même temps qu’ils démantelaient l’ordre mondial de 1945. Enfin, les démocraties occidentales ont été frappées par une crise existentielle liée à la déstabilisation des classes moyennes, faisant le lit des mouvements et des dirigeants populistes.
L’Occident a perdu sa crédibilité et montré sa vulnérabilité en échouant à gérer les risques systémiques et les chocs qui caractérisent le XXIe siècle. À la suite des attentats du 11 septembre 2001, il a enchaîné les conflits sans fin. Il s’est révélé incapable de maîtriser le krach financier de 2008 provoqué par l’emballement de l’économie de bulles. Aujourd’hui, à la rare exception de l’Allemagne ou d’Israël, il démontre son incapacité à gérer l’épidémie de coronavirus et cumule catastrophe sanitaire, écroulement économique et troubles politiques.
L’Occident fait désormais face à de puissantes forces qui lui sont hostiles et qui entendent le supplanter.
Mais l’origine de sa chute est intérieure, liée à la corruption de ses valeurs, de ses institutions et de ses mœurs.
Le capitalisme de bulles a délaissé la production pour la spéculation et l’innovation pour la rente : il repose sur un modèle économique et social insoutenable associant croissance faible, surendettement et accroissement vertigineux des inégalités. L’ignorance et la démagogie cultivées par les dirigeants politiques et par les réseaux sociaux ont nourri le mépris pour l’éducation et pour la science, créant un fossé entre une élite maîtrisant les nouvelles technologies et la population. La démocratie a été largement vidée de son sens par l’érosion des contre-pouvoirs et de l’État de droit, l’asservissement du débat public aux passions collectives, la déification des identités qui ont euthanasié l’idée de bien commun, la tyrannie du court terme qui interdit toute vision de l’avenir. Enfin, comme dans les années 1930, l’unité des nations libres s’est défaite avec le tournant nationaliste, protectionniste et isolationniste des États-Unis, le Brexit et la divergence de plus en plus explosive de l’Europe entre le Nord et le Sud – autour de la gouvernance de l’euro – comme entre l’Ouest et l’Est – qui a basculé dans l’autoritarisme sous l’influence de la Hongrie de Viktor Orban.
L’Occident a ainsi perdu son leader, avec la trahison par les États-Unis de l’héritage des Pères fondateurs comme de leurs alliés, sa stratégie et sa colonne vertébrale avec l’Otan, mais surtout ses principes avec le dévoiement de la liberté politique et l’abandon des droits de l’homme. La force de l’Occident a tenu à sa capacité à se remettre régulièrement en question à travers la compétition entre les individus, les entreprises et les nations, tout en restant fidèle à ses valeurs. Il doit aujourd’hui se réinventer, quitte à s’inspirer de la Corée du Sud et de Taïwan. En élaborant un nouveau pacte économique et social inclusif.
En réorientant le capitalisme vers la production, l’innovation et la transition écologique. En investissant massivement dans l’éducation à la science, aux technologies mais aussi à la citoyenneté. En ranimant le débat public et en réengageant les citoyens dans la vie des nations. En reconstruisant une alliance des démocraties face aux menaces des démocratures et du djihadisme.
En renouant avec le fil de son destin qui se confond avec la liberté. Non pour dominer le monde mais pour défendre, dans l’environnement géopolitique très chaotique et dangereux du XXIe siècle, la conciliation de la diversité des cultures et l’existence de valeurs universelles qui fondent la dignité des hommes.
(Chronique parue dans Le Figaro du 04 mai 2020)