Le succès de l’Allemagne dans la maîtrise de l’épidémie de coronavirus est riche d’enseignements.
La crise du coronavirus est universelle et sans précédent. Pour autant, les performances des gouvernements et les stratégies déployées sont très diverses, y compris au sein des démocraties. Ceci est tout particulièrement vrai en Europe, continent le plus touché avec les États-Unis par le nombre des décès et le plus sinistré au plan économique.
D’un côté, la France connaît un « juin 1940 sanitaire ». Le défaut d’anticipation et d’organisation de l’État entretient une pénurie de matériel de protection, de tests, de lits de réanimation, d’outils numériques, qui met notre pays au quatrième rang mondial par le nombre des victimes.
Le confinement général de la population entraînera par ailleurs une chute de plus de 10 % du PIB, une explosion des faillites et du chômage ainsi que l’envolée du déficit et de la dette publique autour de 15 % et 120 % du PIB. Enfin l’État de droit a été suspendu par la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020, qui a débouché sur la vacance des contre-pouvoirs législatif et judiciaire.
À l’inverse, l’Allemagne a effectué un retournement spectaculaire à l’occasion de la pandémie. Le modèle allemand, déstabilisé par le « dieselgate », la guerre commerciale et technologique lancée par Donald Trump, l’ouverture des frontières aux migrants et la percée de l’AfD, a fait la preuve de sa résilience. Et Angela Merkel, dont le leadership et la coalition semblaient moribonds et dont l’immobilisme était unanimement décrié, voit sa légitimité restaurée dans son pays comme en Europe. Cette réussite s’est construite sur quatre plans.
Dans le domaine sanitaire, le pays constitue une exception, puisqu’il a enregistré cinq fois moins de décès que la rance avec une population de 83 millions d’habitants (dont 21,5 % ont plus de 5 ans) contre 67 millions. Et ce grâce une stratégie fondée sur des mesures de distanciation sociale stricte, la mobilisation de l’industrie biomédicale pour dépister massivement les malades (350 000 par semaine en mars et 200 000 par jour aujourd’hui), la montée en puissance des capacités hospitalières portées dès février de 28 000 à 40 000 lits de réanimation dont 30 000 équipés de ventilation (5 000 en Italie et 7 000 en France). Simultanément ont débuté des essais cliniques pour un vaccin contre le coronavirus.
Dans le domaine économique, l’Allemagne a pleinement bénéficié des marges de manœuvre que lui assure le rétablissement de ses finances publiques, caractérisées par un excédent de 13,5 milliards d’euros et une dette publique ramenée à 58 % du PIB en 2019. Elle a ainsi pu mettre en œuvre le plus important plan de soutien de son économie depuis la Seconde Guerre mondiale. Il porte sur quelque 1 200 milliards d’euros et comprend un fonds de secours de 600 milliards pour les grandes entreprises, des aides de 50 milliards pour les PME et 10 milliards d’investissements pour le système de santé, en plus de 822 milliards d’euros de prêts garantis par la banque publique KfW. Ce programme et la sortie du confinement dès le 20 avril devraient limiter la récession à 4,2 % du PIB en 2020, avant un vif rebond de la croissance de 5,8 % en 2021.
Dans le domaine juridique, l’Allemagne a strictement respecté sa Loi fondamentale. Elle a maintenu le fonctionnement normal de ses institutions et écarté le recours à un régime d’urgence. La loi du 25 mars sur la protection contre les épidémies d’ampleur nationale a certes confié des pouvoirs spécifiques au ministre de la Santé, dont la possibilité d’instituer des réglementations s’imposant aux Länder sans l’autorisation préalable du Bundesrat. Mais les trois piliers de la démocratie allemande ont été préservés : le contrôle rigoureux de l’exécutif par le Parlement ; l’équilibre des pouvoirs entre l’État fédéral et les Länder ; le respect des libertés fondamentales et de la vie privée sous la surveillance vigilante de la justice.
Dans le domaine politique, Merkel, bien loin des envolées lyriques et des métaphores guerrières, a piloté la crise avec efficacité, calme et précision. Sa sobriété et sa détermination ont renforcé la confiance de la population dans ses dirigeants et dans les institutions, obtenant le soutien de 74 % des citoyens – contre 39 % en France -. Et ce sur fond d’un intense débat démocratique autour des pouvoirs de l’État fédéral et des Länder, du confinement, du respect de la vie privée ou de la solidarité européenne. Loin de triompher, la chancelière martèle que le pays n’en a pas fini avec le coronavirus et ne cesse d’appeler ses concitoyens à la prudence et à la mobilisation dans un combat destiné à durer jusqu’à la commercialisation d’un vaccin.
Le succès de l’Allemagne dans la maîtrise de l’épidémie de coronavirus est riche d’enseignements. L’Europe constitue plus que jamais le cœur du dilemme allemand. Plus l’Allemagne est forte dans l’Union et plus elle ravive les sentiments d’hostilité, particulièrement vifs aujourd’hui en Italie. Plus elle est seule en Europe et plus elle l’affaiblit.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 avril 2020)