Face au coronavirus, les pays émergents disposent de deux atouts. Des avantages qui paraissent bien minces cependant face à leur vulnérabilité.
Après la Chine, l’Europe et les États-Unis, l’onde de choc de l’épidémie de coronavirus atteint les pays émergents d’Asie du Sud, d’Amérique latine et d’Afrique – dont le revenu par habitant s’établit entre 5 et 30 % de celui des membres de l’OCDE. Alors qu’ils ont largement bénéficié du cycle de la mondialisation qui a permis de réduire d’un tiers l’écart avec les pays riches et qu’ils ont été relativement épargnés par le krach de 2008, la pandémie les frappe de plein fouet et pourrait casser la dynamique de leur décollage.
Face au coronavirus, les pays émergents disposent de deux atouts. Leur population est jeune, les plus de 65 ans ne représentant que 4 % de la population en Afrique contre 11 % en Chine, 16 % aux États-Unis et 20 % en France. Par ailleurs, les pouvoirs publics comme la société ont acquis une expérience de la gestion des crises sanitaires en luttant contre le Sras et le Mers en Asie, Zika en Amérique latine ou le virus Ebola en Afrique.
Pour autant, ces avantages paraissent bien minces face à la vulnérabilité spécifique des émergents. Au plan sanitaire, les systèmes de santé sont sous-dimensionnés et défaillants – le Sénégal ne comptant par exemple que 56 lits de réanimation pour 17 millions d’habitants – et ne possèdent pas pour la plupart d’industrie biomédicale, à la notoire exception de l’Inde. La violente récession provoquée par la pandémie est aggravée par le contre-choc pétrolier qui a entraîné une chute de 63 % du prix du baril ainsi que par l’effondrement des cours des matières premières – y compris agricoles. Les États émergents sont confrontés, au moment où ils doivent tenter d’assurer la solvabilité de la demande et la survie des entreprises, à la fermeture des marchés de capitaux, à l’exode des capitaux (plus de 80 milliards de dollars ont quitté en quelques semaines l’Asie du Sud, l’Afrique et la Turquie), à l’arrêt des transferts des émigrés qui s’élèvent entre 5 et 10 % du PIB et de l’aide internationale. Par ailleurs, se dessine une crise humanitaire qui leur est propre, avec le basculement de pans entiers de la population dans la grande pauvreté, les pénuries de denrées alimentaires, d’eau ou d’électricité.
À l’exception des dirigeants populistes comme Jair Bolsonaro au Brésil, les dirigeants de pays émergents, tirant les leçons des épidémies précédentes, ont pris conscience du danger et se sont mobilisés rapidement.
Mais leurs efforts se heurtent aux limites de leurs moyens d’action, à la faiblesse des institutions publiques et aux maux du mal-développement.
Le confinement est impossible à faire respecter dans un pays très densément peuplé comme l’Inde ou dans les villes africaines dont 70 % de la population vit dans des bidonvilles et doit impérativement se déplacer et travailler quotidiennement pour survivre.
L’économie informelle qui entre pour plus de la moitié de l’activité en Afrique subsaharienne rend très difficile la réassurance de la production, des emplois et des revenus par les États. Ceux-ci n’ont pas la possibilité d’emprunter 10 à 20 % de leur PIB, alors que leur dette est très inférieure à celle des pays développés et que la crise est amplifiée par sa dimension humanitaire. Par ailleurs, la plupart des banques centrales, notamment en Afrique, ne disposent pas des compétences nécessaires pour effectuer des rachats massifs d’actifs publics ou privés. Enfin, il est très difficile d’aider la population la plus pauvre, qui vit hors de tout circuit officiel.
Les économies de rente adossées à des États prédateurs et des pouvoirs autoritaires ou populistes seront particulièrement touchées – à l’image de l’Algérie, de l’Angola, du Venezuela, de l’Équateur mais aussi du Brésil – , tandis que les pays bénéficiant d’une économie diversifiée et d’une gouvernance de qualité – tels le Maroc, le Togo, le Ghana et le Rwanda, le Chili ou la Colombie – devraient rapidement renouer avec une forte croissance.
Sur le plan géopolitique, cette crise acte l’effacement des États-Unis et l’affirmation du leadership de la Chine sur le monde émergent. Et ce par trois canaux : la diplomatie sanitaire avec les livraisons de matériel de protection, d’équipements médicaux et de médicaments ; le financement des États via les programmes d’investissement des « nouvelles routes de la soie » mais aussi des accords de swaps de la Banque de Chine qui approvisionne les banques centrales en yuans inconvertibles immédiatement reconvertis en achats de produits chinois ; la prise de contrôle des institutions multilatérales vilipendées par Donald Trump et délaissées par les autres démocraties occidentales – avec pour symbole la mise sous tutelle de l’OMS. Tout ceci souligne l’importance pour les démocraties occidentales de se réengager auprès des émergents et du système multilatéral – tout particulièrement pour l’Europe aux côtés de l’Afrique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 13 avril 2020)