Pour le site atlantico.fr, Nicolas Baverez et Edouard Husson débattent des conséquences du coronavirus COVID-19 pour l’Occident.
Atlantico.fr : Alors que la crise du coronavirus continue de faire rage dans le monde et que les analystes ont beaucoup opposé le modèle autoritaire chinois et le modèle démocratique occidental dans la gestion de cette crise, il semblerait qu’un monde bipolaire soit en train de se redessiner. Le coronavirus peut-il être à l’UE ce que Tchernobyl a été à l’URSS ? Le Parti Communiste chinois peut-il se renforcer grâce à sa meilleure gestion de la crise du coronavirus ?
Nicolas Baverez : La pandémie de coronavirus constitue un test pour la capacité des systèmes politiques à gérer les risques globaux du XXIème siècle. Tchernobyl, en 1986, avait souligné l’inefficacité chronique du régime soviétique et le mépris absolu des dirigeants pour la population ; Mickael Gorbatchev s’en servit comme d’un levier pour accélérer la glasnost et la perestroïka, libérant les forces qui provoquèrent l’effondrement de l’URSS et de son empire. La catastrophe sanitaire que nous vivons est véritablement planétaire ; elle met en évidence les faiblesses et les forces des grands blocs qui se partagent désormais le monde.
Le total-capitalisme chinois fut dramatiquement défaillant dans la prévention de la crise, dont il n’a accepté de révéler l’existence que sous la pression des réseaux sociaux, mais s’est montré efficace dans sa gestion. Elle a privilégié des mesures drastiques de confinement, qui ont été servies par le caractère autoritaire du régime, l’obéissance de la population et le recours massif à la technologie. Xi Jinping, fragilisé, a fait le choix inverse de Gorbatchev qui reste un repoussoir pour les dirigeants chinois, en renforçant la centralisation du pouvoir, le contrôle de la population par la surveillance numérique et la répression de toute forme d’opposition. Avec pour résultat une sortie de crise rapide. Singapour et la Corée du Sud ont de même réussi à maîtriser l’épidémie en jouant sur la discipline de sa population mais aussi sur un recours massif aux technologies, notamment pour assurer un dépistage systématique et en temps réel de la population.
Les démocraties ont sous-estimé le fléau en entretenant l’illusion qu’il resterait pour l’essentiel cantonné à l’Asie. A l’image de l’Italie, elles sont confrontées à l’emballement de la contagion au moment où celle-ci se stabilise en Chine et en Corée. Comme pour le réchauffement climatique, les Etats-Unis, sous l’influence du national-populisme de Donald Trump, se sont installés dans le déni en cultivant l’illusion que l’Amérique était une île hors du monde. Avec des conséquences lourdes tant sur le plan sanitaire pour les quelque 40 millions d’Américains qui ne disposent pas d’une assurance-santé que sur le plan économique et financier. L’Europe a une nouvelle fois fait la preuve de son impuissance et de ses divisions. La préparation a été gravement défaillante, ce qui se traduit par des pénuries de matériel, d’équipements de protection et de médicaments. La solidarité ne fonctionne pas comme le montre l’absence de soutien à l’Italie, notamment pour l’envoi de kits de dépistage. Il n’y a ni leadership, ni stratégie sur le plan sanitaire comme sur le plan économique où l’on reprend l’arsenal des mesures de 2008 qui sont totalement inadaptées à un quadruple choc touchant l’offre, la demande, le crédit et le pétrole. Tout comme face aux migrants et au chantage de la démocrature islamique turque de Recep Erdogan, l’Union est en passe de perdre un nouveau test clé pour sa crédibilité. Et cet échec pourrait être celui de trop.
Enfin, le drame le plus ample reste aujourd’hui caché. Il va se dérouler dans les pays qui refusent toute transparence sur l’épidémie comme l’Iran et au sein des pays émergents dont les systèmes de santé sont défaillants ou effondrés, notamment en Afrique.
La pandémie de coronavirus éclaire ainsi les points faibles de tous les modèles, y compris celui de la Chine. Mais il est bien vrai que l’avantage restera à ceux qui sortiront les premiers de la crise. Et la Chine fait une nouvelle fois la course en tête, même si le prix est très lourd à payer pour sa population…
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