La crise sanitaire provoquée par la propagation du Covid-19 aura des conséquences profondes sur l’économie et sur nos démocraties.
La quarantaine fut instituée par Venise au XIVe siècle, lors de la Grande Peste qui emporta le tiers de la population européenne. Sept cents ans plus tard, la ville se trouve de nouveau confinée. Depuis le début de notre siècle, c’est la quatrième fois, après le Sras en 2003, H1N1 en 2005 et le Mers en 2012, qu’un virus animal franchit la barrière des espèces et contamine l’homme avant de s’étendre à la planète.
La pandémie présente aujourd’hui un triple visage : elle montre un début de stabilisation en Chine et en Corée du Sud ; elle s’étend aux États-Unis et en Europe, qui disposent de systèmes de santé performants permettant de limiter le nombre des victimes ; elle reste cachée dans les pays autoritaires qui cultivent le déni pour des raisons idéologiques, comme la Russie ou l’Iran, et surtout dans le monde émergent – Afrique en tête –, où elle s’apprête à faire des ravages en raison de la fragilité des systèmes de santé. Au total, les épidémiologistes estiment que le quart de l’humanité sera touché, soit 2 milliards d’individus, entraînant entre 5 et 7 millions de morts. Ce bilan serait inférieur aux 50 millions de morts de la grippe dite « espagnole » en 1918, mais très supérieur à celui de la grippe asiatique en 1957 (de 2 à 4 millions de morts), de la grippe de Hongkong en 1968 (1 million de morts), du virus Ebola (15 000 morts) ou du Sras (775 morts).
Les conséquences ne se limitent pas à la santé. Le coronavirus constitue une dramatique illustration de l’écart entre les risques globaux du XXIe siècle et la difficulté de les maîtriser compte tenu du recul de la coopération entre les nations. Le Dr Rieux, dans La Peste de Camus, « voulait faire comme tous ceux qui avaient l’air de croire, autour de lui, que la peste peut venir et repartir sans que le cœur des hommes en soit changé ». Le coronavirus va profondément transformer l’environnement et le cœur des hommes.
À court terme, la crise sanitaire crée un risque de récession mondiale et accroît la déstabilisation des dirigeants des démocraties. Le choc économique est mondial, touchant l’offre, la demande et les marchés financiers. Au-delà de l’étroitesse des marges de manœuvre budgétaires et monétaires, il constitue un véritable défi pour la politique économique. Le déversement de liquidités est indispensable pour contenir les conséquences du krach pétrolier et boursier mais n’est d’aucune utilité pour remettre en route la production, assurer la reprise du travail, ramener les consommateurs dans les magasins ou les touristes dans les hôtels, comme le montre l’échec de la baisse de 50 points des taux directeurs de la Fed le 3 mars. L’efficacité de la politique budgétaire est également limitée face à un choc d’offre, sauf à diminuer les impôts et les charges des entreprises, ce qu’a entrepris la Chine. Marchés financiers et dirigeants politiques s’appuient sur la stabilisation du virus et la reprise progressive de l’activité en Chine pour parier sur la maîtrise de l’épidémie, qui limiterait à 2 % les pertes pour l’activité mondiale. La croissance serait ramenée cette année à 5,1 % en Chine, à 1,5 % aux États-Unis et à 0,2 % en Europe. En revanche, la pandémie, si elle sortait de tout contrôle dans les pays émergents, provoquerait une récession qui ne manquerait pas de faire éclater les bulles de dettes publiques et privées.
Sur le plan politique, la crise sanitaire se traduit par un nouvel affaiblissement des démocraties du fait de la défiance envers les institutions et les dirigeants, alors que les pouvoirs autoritaires, à l’image de la Chine de Xi Jinping, la mettent à profit pour renforcer le contrôle et la surveillance de la population.
À plus long terme, la pandémie s’ajoute à la guerre commerciale et technologique ainsi qu’à l’urgence climatique. Elle mine l’économie de bulles avec la montée de la volatilité sur les marchés. Elle durcit la confrontation entre la Chine et les États-Unis, qui accentuent la pression sur leurs alliés pour réduire leur dépendance vis-à-vis de Pékin. Enfin, elle encourage les forces populistes qui militent pour le retour aux frontières nationales et pour leur fermeture.
Comme tout grand fléau, la pandémie de coronavirus fait émerger une part de vérité sur notre monde. Elle en illustre les dérives et les risques, mais aussi les chances et les atouts, à travers la mobilisation et la coopération des médecins et des chercheurs pour mettre au point un vaccin. Elle livre ainsi aux démocraties de précieux enseignements.
- La crise sanitaire pointe les limites du capitalisme actionnarial et de sa logique financière.
- Alors que la politique économique a été largement déléguée aux banques centrales depuis le krach de 2008, le choc rappelle le rôle des gouvernements, le levier décisif que constitue la régulation et la priorité qui doit être donnée à l’offre.
- Face à l’effondrement de la croissance mondiale, des échanges internationaux et du prix des matières premières, les États-Unis gagneraient à suspendre la guerre commerciale, sauf à hâter une récession planétaire qui ne faciliterait pas la réélection de Donald Trump.
- Le renforcement de la résilience des nations libres est impératif, ce qui implique la réduction de la dépendance au capitalisme total chinois, mais aussi le réinvestissement dans les secteurs stratégiques comme la santé.
- À l’âge de l’histoire universelle et des risques globaux, le repli sur les frontières nationales n’a jamais été plus inefficace ni plus dangereux.
(Article paru dans Le Point du 12 mars)