Le rapport annuel de la Cour des comptes confirme l’incapacité de la France à assumer ses fonctions essentielles et à réformer le secteur public.
En France, la nation s’est construite autour de l’État à partir de la sortie des guerres de Religion. Aujourd’hui, l’État est en passe de détruire la nation par sa surexpansion, la dégradation de ses services et la perspective de sa faillite financière. La Cour des comptes en dresse le constat impitoyable dans son rapport annuel, qui souligne tant le renoncement du gouvernement à redresser les finances publiques que les risques majeurs qui en résultent pour la soutenabilité du modèle français et la démocratie.
- Loin d’être maîtrisée, la dérive des finances publiques s’accélère. En 2019, le déficit a progressé de 2,5 à 3,1 % du PIB, ce qui a conduit la dette publique à dépasser 100 % du PIB à la fin du 3e trimestre. Ce creusement du déficit s’explique par la hausse des dépenses publiques de 22 milliards d’euros, tandis que la progression spontanée des prélèvements obligatoires (29 milliards) était neutralisée par les baisses d’impôts et la transformation du CICE en allègement de cotisations (28 milliards). Le dérapage continu des dépenses, des déficits et de la dette publics est d’autant plus incompréhensible et préoccupant que l’environnement économique et financier a été très favorable, marqué par l’amélioration de l’activité et la baisse du chômage dans la zone euro depuis 2015, et surtout par l’effondrement des taux d’intérêt, qui a réduit de 4,4 milliards la charge de la dette.
- La position financière de la France apparaît très fragilisée en 2020. La loi de finances prévoit une diminution du déficit public à 2,2 % du PIB avec une nouvelle hausse des dépenses de 22 milliards d’euros. Le maintien du déficit structurel à 2,2 % du PIB souligne l’absence de tout effort d’ajustement. Surtout, la loi de finances repose sur une hypothèse de croissance de 1,3 % totalement irréaliste. Compte tenu de la réduction de l’activité par les grèves de la fin de 2019, la croissance pour 2020 pouvait être estimée au mieux à 1,1 % et sera amputée de 0,2 à 0,5 point par la crise du coronavirus.
- Au-delà de son niveau excessif, la dépense publique est caractérisée par la cannibalisation des fonctions régaliennes par l’État providence et par l’euthanasie de l’investissement. Alors que la dépense publique dépasse 54 % du PIB, les missions régaliennes continuent à plafonner à 2,8 % du PIB, contre plus de 34 % pour les transferts sociaux. L’État confirme ainsi son incapacité à assumer ses fonctions essentielles pour garantir la liberté, la paix civile et la continuité de la vie nationale, comme le souligne la crise endémique de la police, de la justice et le sous-financement chronique de notre défense. Les dirigeants français sont par ailleurs mal fondés à critiquer la faiblesse de l’investissement chez nos partenaires européens puisque la course incontrôlée des dépenses va de pair avec la chute de l’investissement public, ramené de 3,9 % du PIB pendant la première moitié des années 2010 à 3,4 % du PIB depuis 2016.
- La fuite en avant des dépenses publiques acte le renoncement aux réformes. Alors qu’il avait été élu pour réformer le modèle français de stagnation à crédit, Emmanuel Macron l’a conforté et relancé. Depuis 2017, le déficit de l’État a progressé de 65,3 à 92,8 milliards d’euros et la dette a gonflé de 227 milliards. Les réformes qui sont intervenues en matière de marché du travail, de formation ou d’assurance-chômage ont été concentrées sur le secteur privé. Elles sont accompagnées d’une sanctuarisation du secteur public, où la paix sociale est achetée par un déversement de fonds sans contrepartie en termes d’amélioration du service rendu aux citoyens. Ainsi en va-t-il de la reprise des dettes de la SNCF et des hôpitaux, des hausses de rémunération massives des enseignants et de la fonction publique hospitalière ou de la pénibilité centrée sur le secteur public dans le cadre du passage à un système de retraite universel par points. L’argent public, l’immobilisme et les rentes, c’est pour les clientèles de la fonction publique. Les réformes, l’impératif de productivité et l’ajustement permanent, c’est pour les entreprises et les travailleurs du secteur privé.
- La France est loin d’être le seul pays à faire l’impasse sur ses finances publiques. L’onde de choc populiste et l’effondrement des taux d’intérêt ont entraîné nombre de pays développés à renoncer à toute discipline en matière de dépenses et de dettes publiques. Les États-Unis de Donald Trump en sont emblématiques, qui affichent un déficit de 1,015 milliard de dollars et une dette publique de 23,223 milliards de dollars à la fin janvier 2020, situation aberrante pour une économie qui se trouve depuis plusieurs années en plein-emploi. Cette stratégie, qui repose sur l’illusion d’un régime permanent de taux bas, est suicidaire et promet de futurs défauts parmi les États qui ne jouissent pas du privilège du dollar.
- La perte de contrôle des finances publiques constitue un risque majeur pour la souveraineté et la sécurité nationales. La situation de ses finances publiques met la France à la merci des marchés financiers, ce qu’avait parfaitement compris le général de Gaulle, qui donna, en 1958, la priorité au désendettement de l’État. Elle la prive également de toute marge de manœuvre face à la prochaine secousse financière qui se dessine. Enfin, elle nous discrédite auprès de nos partenaires européens. Moins la France réforme son État, moins elle est légitime pour plaider l’indispensable refondation de la zone euro et de l’Union.
La spirale infernale de la dépense et de la dette publiques se trouve à la racine du mal français. Elle explique la folle course des impôts et des charges, qui mine la compétitivité des entreprises et sape la cohésion nationale. Elle encourage les usages et les emplois improductifs en évinçant les investissements indispensables dans la sécurité, la révolution numérique ou la transition écologique. L’économiste Jacques Rueff rappelait à juste titre qu’il n’y a pas de « déficits sans pleurs ». La France et plusieurs générations de Français pleureront longtemps l’irresponsabilité des dirigeants qui ont laissé la dette publique passer de 20 à 100 % du PIB entre 1980 et 2020.
(Article paru dans Le Point du 5 mars 2020)