C’est sur le plan politique que les conséquences de ce krach sanitaire seront les plus importantes.
Le bilan de l’épidémie de coronavirus ne cesse de s’alourdir. Alors qu’il repose sur des données officielles notoirement sous-estimées, il est déjà nettement plus lourd que l’épisode du Sras. Cette nouvelle crise sanitaire venue de Chine menace de se transformer en pandémie, avec des effets majeurs sur l’économie mondiale et sur le total capitalisme chinois.
Le coronavirus a réussi ce que Donald Trump n’est pas parvenu à obtenir avec sa guerre commerciale et technologique : paralyser l’économie chinoise. Depuis la fin des congés du Nouvel An lunaire, le 2 février, l’usine du monde reste pratiquement à l’arrêt.
Malgré l’injection de 156 milliards d’euros par la Banque de Chine et la mise en place d’un plan de soutien des entreprises de quelque 40 milliards d’euros, la croissance devrait donc connaître un brutal trou d’air, revenant de 6,1 % en 2019 à 5 % en 2020.
La secousse est loin de se limiter à la Chine. Du fait de l’intégration des chaînes de valeur, la paralysie de l’industrie se propage au reste du monde, notamment dans l’informatique et l’électronique où la Chine assure le cinquième de la production (70 % pour les smartphones).
Pour autant, c’est sur le plan politique que les conséquences de ce krach sanitaire seront les plus importantes, jouant un rôle comparable pour la Chine à ce que fut l’explosion de la centrale de Tchernobyl en 1986 pour l’Union soviétique. Les deux évènements ont en commun leur gestion calamiteuse en lien direct avec la nature totalitaire du régime : indifférence au risque, refus de la transparence et tentative de masquer la catastrophe, mépris pour la population et les victimes, priorité donnée au maintien de l’ordre sur la délivrance des soins.
Les Chinois acquittent le prix fort pour le pouvoir illimité que s’est arrogé Xi Jinping depuis le XIXe Congrès du PCC. Les autorités ne luttent pas en priorité contre l’épidémie mais contre l’information sur l’épidémie. Avec pour symbole la mort du docteur Li Wenliang, arrêté et accusé de répandre des fausses rumeurs pour avoir tenté d’alerter sur la maladie ; son héroïsme contraste avec l’inconscience des responsables qui organisèrent à Wuhan, le 18 janvier, un banquet de 40 000 personnes alors qu’ils connaissaient l’existence d’une épidémie depuis le début décembre. La responsabilité de ces mêmes autorités est directement engagée dans la mondialisation de la maladie, en raison du refus d’informer l’OMS, et des pressions effectuées sur elle pour éviter la déclaration de l’urgence sanitaire internationale.
Alors que Gorbatchev s’était emparé de la catastrophe de Tchernobyl pour accélérer la glasnost et la perestroïka, Xi Jinping met à profit le krach sanitaire du coronavirus pour renforcer la nature totalitaire du régime. La tutelle sur régions et municipalités se resserre. La répression se durcit comme le prouve la disparition de l’avocat et journaliste Chen Qiushi. La surveillance des réseaux sociaux est alourdie et l’effort de propagande intensifié. Le contrôle de la population est affermi, l’épidémie servant de justification et de banc d’essai pour conforter la surveillance numérique.
Il reste que l’épidémie de coronavirus, qui s’ajoute à la chute de l’activité économique du fait de la guerre commerciale avec les États-Unis, aux manifestations de Hongkong, au désaveu cinglant de l’élection présidentielle à Taïwan, fragilise le pouvoir personnel de Xi Jinping. Si démocratie, libertés et État de droit n’existent pas en Chine, l’opinion est bien présente à travers les réseaux sociaux et se mobilise, particulièrement autour des questions de santé et d’environnement. La société civile refuse de se laisser duper par la mise en scène du traitement de l’épidémie et la colère de la population est profonde.
L’économie mondiale est suspendue à un fragile fil de soie que les risques financiers mais aussi sanitaires, environnementaux, cybernétiques et géopolitiques menacent de couper à tout moment : le coronavirus peut être le déclencheur d’un nouveau krach financier. Les systèmes de santé sont fondamentaux pour la résilience des nations, ce qui invite à réduire la dépendance des démocraties vis-à-vis de la Chine en matière de médicaments et d’équipements médicaux. Lord Acton pointait que « le pouvoir corrompt ; le pouvoir absolu corrompt absolument ». L’épidémie de coronavirus souligne, sous sa politique de puissance, la corruption et le cauchemar orwellien du total capitalisme chinois. À tous ceux qui sont tentés par la démocrature ou la démocratie illibérale, elle rappelle qu’il n’y a pas de liberté sans sécurité mais qu’il n’y a pas davantage de sécurité – y compris sanitaire – sans liberté.
(Chronique parue dans Le Figaro du 17 février 2020)