Euro, concurrence, instauration d’une taxe carbone aux frontières… L’Union européenne doit repenser son projet.
Alors que le Brexit installe un redoutable concurrent à ses portes et laisse entrevoir la possibilité de son éclatement, alors que la pression du populisme se renforce en Italie, en France et en Allemagne, l’Union européenne doit impérativement repenser son pilotage économique et social.
Le bilan des deux premières décennies du XXIe siècle est en effet plus que mitigé. La monnaie unique a survécu à la plus grande crise depuis 1929. Il n’en reste pas moins que l’Europe a été distancée par les États-Unis et la Chine en termes de croissance, d’emploi et d’innovation.
Par ailleurs, l’Europe a très mal géré le krach de 2008. Le paradoxe veut que les États-Unis, qui portent la responsabilité première de cette catastrophe, en sont sortis renforcés, tant pour ce qui est du rôle du dollar que pour la régulation ou la domination des institutions financières. À l’inverse, l’Europe a acquitté le prix le plus lourd en termes de chute de l’activité, de chômage et de recul de ses banques sur les opérations à haute valeur ajoutée. Cette anomalie s’explique par une stratégie macroéconomique qui a amplifié les forces déflationnistes en privilégiant le retour à l’équilibre budgétaire, en augmentant les taux d’intérêt de la BCE en 2008 et 2011, et en enfermant les banques et les assurances dans un carcan réglementaire et fiscal. L’Europe a ainsi amplifié la crise de la zone euro. Simultanément, la réponse à la faillite de la Grèce fut calamiteuse puisque ce pays a perdu le tiers de son PIB et vu son taux de chômage culminer à plus de 28 %.
Aujourd’hui, l’Europe cumule la japonisation de son économie, avec une croissance limitée à 1 % et des gains de productivité nuls, la transformation de son grand marché de 447 millions d’habitants en variable d’ajustement de la guerre commerciale et technologique à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine, la fracturation et la polarisation de ses sociétés et de ses territoires. Marginalisée dans le secteur numérique, elle n’est pas en mesure d’atteindre la neutralité carbone qu’elle s’est fixée pour 2050.
À nouveau monde, nouvelle donne et nouvelles règles. La BCE ne peut réassurer seule la monnaie unique et l’activité dans la zone euro ; elle peut encore moins s’ériger en maître d’œuvre de la révolution numérique et de la transition écologique. D’un côté, la politique budgétaire et fiscale a vocation à être réintégrée dans le pilotage économique de l’Union, ce qui passe par la redéfinition du pacte de stabilité et de croissance. De l’autre, la BCE, dans le cadre de sa revue stratégique, ne pourra éluder le changement de ses objectifs et de ses indicateurs, de ses méthodes et de sa gouvernance. Simultanément, l’euro doit être repositionné comme une monnaie internationale à part entière et se doter d’une devise numérique afin de casser le monopole du dollar.
Les principes de régulation du grand marché ont également été rendus obsolètes par les pratiques déloyales de la Chine, mais aussi par la guerre commerciale conduite par les États-Unis. La refonte des règles de la concurrence est urgente : elles protègent non pas les consommateurs mais les oligopoles américains et chinois, tout en interdisant l’émergence de champions européens comme l’a montré le rejet de la fusion entre Alstom et Siemens, qui a fait le lit de leur concurrent chinois. Par ailleurs, la traque aux aides d’État en Europe bloque le soutien public de l’innovation dans le numérique ou l’industrie de l’environnement.
Le grand marché offre un cadre idéal pour rattraper le retard accumulé dans le numérique et prendre la direction de la lutte contre le réchauffement climatique, ce qui implique d’instaurer une taxe carbone aux frontières.
L’Union constitue un levier décisif pour permettre aux peuples d’Europe de reprendre en main leur destin. Qu’il s’agisse de monnaie, de commerce, de fiscalité ou de technologie, elle doit se repenser en termes de souveraineté.
(Article paru dans Le Point du 13 février 2020)