L’Union européenne dispose de moins d’une décennie pour se refonder ou pour éclater.
Alors que s’ouvre l’année 2020, le paradoxe européen n’a jamais été plus éclatant. L’Europe est plus indispensable que jamais dans le XXIe siècle, dominé par les empires et les risques systémiques. Mais l’Union n’a jamais été aussi évanescente, impuissante et divisée.
Alors que le Brexit entre dans les faits, l’Union européenne dispose de moins d’une décennie pour se refonder ou pour éclater. La responsabilité qui pèse sur Ursula von der Leyen et la Commission qu’elle préside est donc historique. L’année 2020 se présente d’emblée comme décisive. Sur le plan démographique, le vieillissement s’accélère tandis que le chaos qui s’installe au Moyen-Orient et en Afrique ainsi que le réchauffement climatique renforcent la possibilité de mouvements massifs de population vers notre continent. Sur le plan économique, la zone euro poursuit sa japonisation avec une croissance limitée à 1 % et des gains de productivité nuls. Sur le plan géopolitique surtout, l’Europe se découvre vulnérable et désarmée, en raison de la fragilisation de la garantie américaine et de la crise ouverte de l’OTAN. Face au djihadisme, qui surmonte sa défaite au Levant en se restructurant comme un réseau social au sein des sociétés européennes et en se propageant en Afrique de l’Égypte au golfe de Guinée. Face aux démocratures qui la prennent pour cible, qu’il s’agisse de la Chine avec la prise de contrôle de ses infrastructures stratégiques, de la Russie ou de la Turquie qui multiplient les interventions militaires de l’Ukraine à la Syrie en passant par la Libye.
Les chocs qui se sont succédé au cours de la décennie 2010 ont contraint les Européens à rompre avec le déni. Il revient à Ursula von der Leyen de passer des mots qui mobilisent aux actes qui sauvent, en érigeant l’Europe en puissance autour de quatre priorités.
La première consiste à consolider les acquis que constituent le grand marché, l’euro et l’espace de libre circulation de Schengen. Le basculement dans le protectionnisme et la démondialisation comme la nature de plus en plus oligopolistique des capitalismes américains et asiatiques appellent une redéfinition urgente des règles de la concurrence. L’Europe doit désormais protéger non seulement ses consommateurs, mais aussi les entreprises, les actifs, les technologies, les données et plus encore les talents et les cerveaux qui constituent sa véritable richesse. L’euro a survécu à la terrible crise du début des années 2010, mais sa stabilité passe par la mise en place rapide de l’union bancaire et de l’union des capitaux. Surtout, s’impose un aggiornamento de la politique économique de la zone euro en demandant moins à la politique monétaire de la BCE et plus à la politique budgétaire, notamment pour soutenir l’éducation, la recherche, l’investissement dans la révolution numérique et la transition écologique.
L’espace Schengen a été fondé sur la suppression parallèle des frontières intérieures et extérieures, postulant une improbable paix perpétuelle. La capacité de l’Europe à gérer la crise migratoire déterminera sa crédibilité vis-à-vis des citoyens et sa résilience face aux populismes. Il est donc impératif de reprendre le contrôle des frontières extérieures de l’Union, notamment en Méditerranée.
En deuxième lieu, cette défense des acquis de l’intégration européenne a vocation à s’inscrire dans un nouveau pacte économique et social. La clé d’un modèle de croissance exclusive réside dans une lutte efficace contre les inégalités. La soutenabilité sociale est par ailleurs indissociable de la soutenabilité environnementale. L’Europe doit ainsi assumer résolument le leadership de la lutte contre le réchauffement climatique.
La troisième priorité concerne l’affirmation progressive d’une autonomie stratégique, avant tout face aux États-Unis. Avec la lutte contre le dérèglement climatique, c’est la sécurité qui peut refonder le projet européen. D’où la création d’une Union pour la sécurité avec pour missions la lutte contre le terrorisme, la protection des infrastructures vitales, la cyberguerre et surtout le contrôle des frontières extérieures du continent.
Enfin, l’Europe doit proposer aux démocraties de la planète la création d’une alliance pour la liberté politique qui ne dépende plus des seuls États-Unis. Avec pour objectif d’assurer la survie du multilatéralisme en matière de commerce, de désarmement, de lutte contre le réchauffement climatique.
L’Europe, après s’être suicidée au cours des deux guerres mondiales, s’est reconstruite depuis les années 1950 autour de la paix franco-allemande et du droit et du marché. Elle se trouve de nouveau à une heure de vérité soit elle renonce à sa liberté en même temps qu’à son unité ; soit elle se refonde au cours de la décennie 2020 autour de la souveraineté et de la sécurité.
(Chronique parue dans Le Figaro du 06 janvier 2020)