L’échec économique des populistes ne remet pas en cause leur capacité à parvenir au pouvoir et à s’y maintenir.
Trois ans et demi après le référendum de juin 2016 qui avait lancé la vague populiste, l’année 2019 se clôt sur la victoire sans appel de Boris Johnson. Le Brexit va désormais entrer dans les faits, ouvrant une très difficile négociation sur les futures relations du Royaume-Uni avec une Union européenne affaiblie et divisée qui devra composer avec un redoutable concurrent à sa porte. L’ère de la mondialisation libérale, ouverte par les réformes de Margaret Thatcher, est définitivement révolue et s’efface devant le retour en force des États et la régionalisation des chaînes de valeur et des échanges. Loin de retomber, l’onde de choc populiste rebondit, plaçant la démocratie en état d’urgence.
Le triomphe de Boris Johnson constitue la meilleure des rampes de lancement tant pour Donald Trump, afin d’enjamber la procédure de destitution, que pour Benyamin Nétanyahou, afin de tenter, pour la troisième fois en un an, d’obtenir une majorité et de geler son inculpation pour corruption. En Italie, Matteo Salvini attend son heure tandis que le gouvernement conduit par Giuseppe Conte est paralysé et que la coalition improbable entre le M5S et le Parti démocrate se déchire. Dans le monde émergent, Narendra Modi marginalise 172 millions de musulmans avec la réforme de la citoyenneté, Recep Erdogan multiplie les interventions militaires de la Syrie à la Libye et les menaces au plan international pour faire oublier la récession et ses difficultés intérieures, tandis que Jair Bolsonaro et Rodrigo Duterte rivalisent dans l’éloge de la violence d’État pour lutter contre la criminalité et la complaisance envers la dévastation de l’environnement.
Le succès de Boris Johnson est riche d’enseignements qui dépassent le Royaume-Uni. Il repose d’abord sur la clarté de la ligne politique qu’il a imposée autour du slogan « Get Brexit done », contrastant avec les louvoiements du Labour autour de l’Europe. Mais sa victoire demeure avant tout la défaite de Jeremy Corbyn, qui a cumulé un leadership sectaire et peu charismatique, un programme économique d’ultragauche et un antisémitisme latent. C’est l’électorat populaire traditionnel du Labour qui a fait la décision en basculant du côté des Tories, démontrant que la passion nationale est autrement puissante que la lutte des classes, y compris dans la révolte contre la mondialisation et la révolution numérique.
La percée politique des populismes contraste pourtant avec leur échec économique. La guerre commerciale engagée par Trump contre la Chine en apporte une saisissante confirmation. Les États-Unis sont en effet en train de la perdre. Le tournant protectionniste a coûté 51 milliards de dollars de pouvoir d’achat aux ménages américains tout en dégradant la compétitivité des entreprises. La baisse de la croissance de 3 à 1,9 % depuis 2015 n’a été enrayée que par un déficit budgétaire de 4,5 % du PIB et une reconstitution des bulles financières qui s’achèvera par un nouveau krach. Les sanctions contre Huawei accélèrent la conquête de son autonomie technologique par la Chine et ne résolvent en rien le retard américain en termes d’innovation.
L’accord partiel et provisoire conclu avec la Chine, qui n’a rien cédé, ne fait qu’habiller le recul des États-Unis face aux coûts démesurés du protectionnisme en termes de croissance, de stabilité des marchés et d’impact sur nombre d’électeurs potentiels de Donald Trump. Sur le plan mondial, tout comme le calamiteux Smoot-Hawley Act de 1930, les États-Unis ont réduit la croissance mondiale de 3,5 à 2 % depuis 2016, démultiplié la volatilité des marchés et annihilé la coopération internationale indispensable pour gérer les crises du capitalisme universel.
Nombre de leçons émergent de l’élection britannique. Le cycle de la démondialisation crée un contexte économique beaucoup plus dur, marqué par une diminution de la croissance et des emplois ainsi qu’une hausse des risques financiers et politiques. L’abandon de toute discipline monétaire et budgétaire dans les grands pays développés renforce la probabilité d’un nouveau krach. Les années 2020 seront placées sous le signe de la crise de la démocratie représentative et du regain des nationalismes. L’échec économique des populistes ne remet pas en cause leur capacité à parvenir au pouvoir et à s’y maintenir, fondée sur la déstabilisation des classes moyennes, l’atomisation des sociétés et la polarisation des territoires, les désarrois identitaires et la montée de la violence. La démocratie et le libéralisme doivent se réinventer pour survivre, en réinvestissant dans l’éducation, la santé et les infrastructures, en plaçant au cœur de leur projet la souveraineté et la sécurité, en retrouvant le sens de la nation et des projets collectifs au-delà de l’individualisme, en continuant à faire appel à la raison mais en jouant aussi sur les émotions positives. L’antidote au national-populisme, c’est le patriotisme de la liberté.
(Chronique parue dans Le Figaro du 19 décembre 2019)