Christine Lagarde gagnerait à s’inspirer de l’héritage et de la sagesse de l’ancien patron de la FED.
Paul Volcker est mort, le 8 décembre dernier, à l’âge de 92 ans. La vie de cet économiste austère et farouchement indépendant se confond avec la politique monétaire des États-Unis depuis les années 1950. Elle a été consacrée à définir et à chercher à garantir la stabilité de la monnaie et la bonne conduite de la politique économique. Par trois fois, il joua un rôle décisif dans les tournants de la stratégie monétaire des États-Unis.
En 1971, Paul Volcker conseilla à Richard Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or, ce qu’il fit le 15 août. Cette décision était imposée par la hausse de l’inflation, passée de 2 à 5 % par an, en raison de la politique monétaire expansionniste. Elle marqua la fin de l’étalon de change-or et du système de change fixe acté à Bretton-Woods en juillet 1944, ouvrant la voie aux changes flottants.
En 1979, Paul Volcker fut nommé par Jimmy Carter à la tête de la FED pour éradiquer l’inflation, qui atteignait 14,8 % en rythme annuel et allait de pair avec un taux de chômage touchant 7 % de la population active. C’est sous la présidence de Ronald Regan que Paul Volcker remplit cette mission, en augmentant les taux directeurs de 11 à 20,5 %. Au prix d’une sévère récession, il éradiqua l’inflation, qui fut ramenée à 3 % en 1983, en même temps que s’amorçait la décrue du chômage.
Paul Volcker assit ainsi la crédibilité et l’indépendance de la FED. Pour autant, ses critiques récurrentes sur la dérive des déficits et de la dette publics des États-Unis, lui valurent d’être remplacé par Alan Greenspan en 1987. L’activisme monétaire de ce dernier, associé à la déréglementation financière, mit en place la structure de l’économie de bulles qui aboutit au krach de 2008.
En 2009, c’est de nouveau à Paul Volcker que Barack Obama fit appel pour endiguer le pire krach du capitalisme depuis 1929 et stabiliser le système financier. Il recommanda en vain de limiter la taille des banques et de revenir au Glass-Steagall Act de 1933 séparant banque de dépôt et banque d’investissement, que Bill Clinton avait abrogé en 1999. Toutefois, la loi de régulation financière dite Dodd-Frank Act votée en juillet 2010 intégra la règle Volcker, qui limitait strictement la possibilité pour les banques de réaliser des placements spéculatifs pour leur propre compte.
Il est frappant de constater que la plupart des principes qui guidèrent Paul Volcker sont aujourd’hui battus en brèche. Or le laxisme monétaire et le foisonnement des activités financières échappant à toute régulation se trouvent au cœur des dérèglements d’un capitalisme qui conjugue faible croissance et blocage des gains de productivité, multiplication des rentes et des inégalités, surendettement et économie de bulles.
Pour Paul Volcker, la stabilité de la monnaie ne constitue pas une fin en soi mais une condition nécessaire pour le développement durable de l’économie. Elle est devenue une pure fiction du fait des stratégies d’expansion monétaire illimitée mises en œuvre depuis 2009. La politique monétaire, à travers l’inflation des actifs, joue aujourd’hui le même rôle que la politique budgétaire dans les années 1970 en distribuant des revenus virtuels. Elle s’accompagne d’une nouvelle phase de déréglementation – dont témoigne la suppression de la règle Volcker par Donald Trump – à travers l’expansion de la finance de l’ombre et l’émergence anarchique des cryptomonnaies.
John Adams rappelait qu’« il y a deux manières d’asservir une nation : l’une est par l’épée, l’autre est par la dette ». Les expériences d’argent gratuit s’achèvent toujours par des krachs dévastateurs, comme le montrent le Zimbabwe, le Venezuela et l’Argentine. Les dettes publiques et privées culminent autour de 270 000 milliards de dollars, soit plus de trois fois le PIB mondial. Elles sont encouragées par les taux négatifs qui laminent le système bancaire et les classes moyennes, tout en poussant les États à emprunter toujours plus au risque du défaut lors de l’inéluctable remontée des taux. Le rôle et le statut des banques centrales sont remis en question par le pouvoir politique. Enfin, la coordination des banques centrales, que Paul Volcker savait vitale pour la gestion des grandes crises du capitalisme, est fragilisée par le tournant nationaliste, protectionniste et populiste des grands pays développés, États-Unis en tête.
Alors qu’elle prend ses fonctions à la tête de la BCE, Christine Lagarde gagnerait à s’inspirer de l’héritage et de la sagesse de Paul Volcker. La monnaie est une chose trop sérieuse et dangereuse pour être confiée aux gouvernants : l’indépendance et la neutralité des banques centrales sont plus que jamais une pièce essentielle de l’État de droit et un pilier de la démocratie. Les banques centrales ne peuvent ni ne doivent tout faire : leur mission consiste à garantir la stabilité monétaire et financière.
(Chronique parue dans Le Figaro du 16 décembre 2019)