Marginalisée dans la révolution numérique, l’Europe peut reprendre pied dans le XXIe siècle en assumant le leadership de la transition écologique.
Soixante-deux ans après sa création, l’Europe traverse une crise existentielle. Son modèle économique et social est menacé par une stag-déflation à la japonaise et par la guerre commerciale et technologique entre les États-Unis et la Chine. Elle se trouve en première ligne face aux démocratures et aux djihadistes. Fondée autour du droit et du marché, elle peine à se réinventer autour de la défense de sa souveraineté et cherche un projet qui puisse remobiliser ses citoyens.
Près de cinquante ans après la publication du rapport du Club de Rome, en 1972, l’ampleur et la vitesse de la dégradation des écosystèmes de notre planète ne sont plus un risque mais une réalité. L’augmentation de 1,1 °C de la température depuis l’ère préindustrielle se traduit par l’asphyxie des mégalopoles, la destruction des sols et l’acidification des océans, des pénuries d’eau ainsi que la multiplication des catastrophes naturelles.
Plus de dix ans après le krach de 2008, les records boursiers masquent les dérives du capitalisme financier qui nourrit la crise de la démocratie.
La lutte contre le réchauffement climatique est emblématique de l’échec des stratégies mises en œuvre jusqu’à présent dans le cadre des COP. L’accord de Paris a été vidé de sa portée par le retrait des États-Unis qui fait des émules : il est exemplaire du retour en force d’un nationalisme à courte vue qui interdit de répondre aux risques globaux. Par ailleurs l’écart se creuse entre les engagements pris et les actions engagées. Au terme de la décennie la plus chaude jamais enregistrée, la trajectoire actuelle conduit à une hausse d’au moins 3,5 °C à la fin du siècle, avec pour conséquences une montée des eaux de plusieurs mètres et des centaines de millions de réfugiés climatiques.
Marginalisée dans la révolution numérique par les États-Unis et la Chine, l’Union peut reprendre pied dans le XXIe siècle en assumant le leadership de la transition écologique. Son bilan reste pour l’heure très mitigé, la baisse des émissions (-1,7 % en 2019) n’ayant repris qu’après une stagnation due à la décision d’Angela Merkel de sortir du nucléaire pour réinvestir dans le lignite. Mais l’Europe, par ses institutions, ses ressources et ses valeurs, est idéalement positionnée pour inventer et mettre en œuvre un modèle de développement soutenable qui lie productivité, lutte contre les inégalités et protection de l’environnement.
L’Europe doit clarifier ses objectifs. Il lui revient d’exclure toute forme de décroissance, synonyme de régression économique et de violence politique. La priorité absolue va à la lutte contre le réchauffement climatique, qui conditionne la solution des autres enjeux écologiques, notamment la survie de la biodiversité. Sa traduction opérationnelle consiste à réaliser la neutralité carbone à l’horizon de 2050. Et ce à travers cinq principes d’action.
- L’instauration d’une taxe carbone européenne est l’arme la plus efficace contre le dérèglement du climat. Elle nécessite de remplir trois conditions : sur le plan économique, une taxe aux frontières du grand marché et une exonération pour les exportations, afin de préserver la compétitivité des entreprises européennes ; sur le plan fiscal, la baisse des impôts et charges sur le travail ; sur le plan social, la redistribution des recettes aux plus défavorisés et aux classes moyennes.
- Le basculement d’un capitalisme de rente vers un capitalisme d’innovation durable passe par la réintégration de l’économie numérique dans l’État de droit – notamment au plan de la concurrence -, le verdissement de la finance, la relance de la recherche et de l’investissement. Profitant des taux bas, un fonds européen de 100 milliards d’euros devrait être constitué pour accélérer les recherches dans la captation et l’absorption du carbone.
- La croissance inclusive demande l’éducation des citoyens et des entreprises à la responsabilité environnementale. La redistribution des recettes de la taxe carbone serait affectée à la réduction des inégalités, à la réhabilitation des logements, à l’accès à une mobilité et à une énergie durables.
- Le grand marché constitue un instrument puissant pour promouvoir un nouveau multilatéralisme à travers des accords commerciaux structurés autour des clauses environnementales. Il en va de même pour l’aide au développement, qui devrait être couplée à des trajectoires vers la neutralité carbone.
- Enfin, la mobilisation pour l’environnement peut permettre de redonner sens à la citoyenneté et à l’idéal européens, notamment aux yeux des jeunes générations.
Le combat pour le climat exige de faire avancer ensemble les entreprises et la société, le marché et l’État, l’efficacité et la justice, les nations et le continent, ce qui est le propre de la construction communautaire. Il n’est pas de meilleur projet pour réconcilier l’Europe à la fois avec ses citoyens et avec l’humanité.
(Chronique parue dans Le Figaro du 09 décembre 2019)