L’acte II du quinquennat d’Emmanuel Macron se présente ainsi en forme de cannelé.
La moitié du quinquennat d’Emmanuel Macron voit monter les risques. Sur le plan intérieur avec l’anniversaire du soulèvement des « gilets jaunes », le mouvement dans les hôpitaux, la grève interprofessionnelle du 5 décembre à laquelle pourraient se joindre les étudiants, les élections municipales de mars prochain susceptibles de ranimer une droite et une gauche républicaines. Sur le plan européen avec l’isolement de la France tant au sein de la Commission que des États membres et la dégradation accélérée des relations avec l’Allemagne. Sur le plan international avec la levée de boucliers des alliés contre les déclarations sur « l’état de mort cérébrale » de l’Otan, sur fond de dialogue avorté avec les hommes forts, de Donald Trump à Xi Jinping en passant par Vladimir Poutine ou Recep Erdogan.
L’acte II du quinquennat d’Emmanuel Macron se présente ainsi en forme de cannelé, ce petit gâteau bordelais qui cache une pâte molle et tendre à l’intérieur sous une croûte dure à l’extérieur. Le nouveau monde se trouve rejoint par l’ancien, cherchant à compenser par l’activisme et la transgression au plan diplomatique, l’immobilisme et la sanctuarisation d’un modèle économique insoutenable au plan national.
Pour être dépourvu de leaders, de stratégie ou de programme, le mouvement des « gilets jaunes » n’en a pas moins gagné politiquement. Le pari de cibler la personne d’Emmanuel Macron et de recourir à une violence radicale a été payant, car il a touché le point faible d’un pouvoir personnel, hyperconcentré et technocratique. Passé de l’arrogance à la panique, Emmanuel Macron s’est hollandisé : plus il oscille, moins il avance.
Emmanuel Macron et Angela Merkel ne convergent plus que dans l’hémiplégie. La réforme des retraites est devenue un bateau ivre. Elle conjugue l’illisibilité – puisque la « clause du grand-père » créerait un 43e régime et reporterait son application dans 42 ans – , l’injustice – la spoliation des 140 milliards d’euros de réserves des régimes excédentaires ayant pour seul but de combler les déficits des retraites de la fonction publique et des régimes spéciaux – , et l’inefficacité – puisque la retraite par points sans ajustement à la baisse du point et sans augmentation de l’âge de départ à la retraite coûte plus cher que le système actuel. L’hôpital explose après l’échec du pseudo-plan de refondation des urgences redéployant 750 millions prélevés sur l’enveloppe du système de santé. Les finances publiques, faute de réforme de l’État, sont à la dérive avec un déficit et une dette publics de 3,1 % et 99,6 % du PIB (contre un excédent de 0,5 % et une dette de 85,1 % pour la zone euro).
La panne des réformes intérieures contraste avec la frénésie diplomatique, qui s’est traduite par le refus de reporter la date du Brexit, la volonté de prendre le contrôle des institutions de l’Union à la faveur des élections européennes, l’ouverture en direction de Vladimir Poutine, la dénonciation du plafond de déficit de 3 % du PIB et l’injonction faite à l’Allemagne d’avoir à relancer ses dépenses publiques, enfin l’enterrement de l’Otan au moment où l’on célèbre le trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin.
Le coup de frein en politique intérieure doublé d’un coup d’accélérateur en politique étrangère produit un dérapage incontrôlé. La croissance plafonne à 1,2 % et le chômage remonte à 8,6 % de la population active, sur fond de double déficit public (3,1 % du PIB) et commercial (2,2 % du PIB). L’ouverture des vannes de la dépense publique aux corporations et aux clientèles de l’État interdit le redressement économique sans parvenir à acheter la paix sociale.
La société est gangrenée par la violence. La diplomatie du coup d’éclat permanent se révèle désastreuse. Pour l’Europe, Emmanuel Macron, qui s’est aliéné tous nos partenaires autour des élections européennes, de la gouvernance de l’euro, de la suppression des excédents allemands faute de réussir à diminuer les déficits français, du Brexit, de l’élargissement aux pays des Balkans ou de l’Otan, ne représente plus une solution mais un risque supplémentaire de désintégration de la monnaie unique, de l’Union et de ce qui reste d’Occident.
Au total, Emmanuel Macron a perdu toute crédibilité sur la scène internationale en raison de son échec dans la modernisation de la France et dans le redressement de l’État régalien, à l’image des armées qui n’ont plus la capacité de répondre à la multiplication des théâtres d’opérations et à leur intensité. Les propos hors de toute raison du président s’agissant de l’Europe, de l’euro ou de l’Otan ne sont que la manifestation de son impuissance à moderniser la France, à refonder l’Union ou à peser dans la crise syrienne.
La faiblesse de l’action découle de l’indigence de la pensée. Emmanuel Macron est l’otage de la démagogie de sa campagne comme de sa conception autoritaire et technocratique du pouvoir. La stratégie de redressement de l’économie est vouée à l’échec par ses promesses de supprimer la taxe d’habitation – qui coupe les Français et leurs élus de toute responsabilité concernant les dépenses locales -, de généraliser le reste à charge zéro dans la santé – qui impose une régulation des soins par la pénurie et la dégradation de leur qualité – , et de ne pas augmenter l’âge de départ à la retraite. L’angle mort sur l’État régalien et la sécurité, l’islam et la laïcité achève de diviser la nation au lieu d’en retisser les liens.
La seule thérapie de choc a porté sur le système politique, qui était déjà mort quand Emmanuel Macron a donné l’illusion de l’abattre. La modernisation de la France n’a été ni pensée, ni entreprise, ce qui supposait de faire des choix au lieu de s’en remettre à la séduction délétère du « en même temps ». Et la ligne politique du quinquennat se résume à Emmanuel Macron lui-même, exaspérant désormais les Européens, sans lesquels on ne refera pas l’Europe, comme les Français.
Le général de Gaulle fit exactement l’inverse. Ce n’est qu’après avoir remis en ordre les institutions et la politique économique avec le plan Rueff puis avoir trouvé une issue à la guerre d’Algérie, qu’il lança à partir de 1963 son grand dessein pour l’Europe ainsi que le repositionnement de la France entre l’est et l’ouest, le nord et le sud. Pour prétendre refonder l’Europe, il faut d’abord redresser la France. Et pour la redresser, il faut la rassembler.
Dans une formule ironique du Fil de l’épée, de Gaulle rappelait que « parfois les militaires, s’exagérant l’impuissance relative de l’intelligence, négligent de s’en servir ». Emmanuel Macron nous montre comment les technocrates, s’exagérant l’impuissance relative de la politique, négligent de s’en servir.
(Chronique parue dans Le Figaro du 18 novembre 2019)