Avec l’islam, la sécurité constitue le principal angle mort du quinquennat, ouvrant un vaste espace politique à l’extrême droite.
L’État moderne est né pour assurer la paix civile à l’intérieur de la nation et la défense de sa souveraineté à l’extérieur. La sécurité est en effet la première des libertés. La propagation et l’intensité croissante de la violence s’affirment à l’inverse comme l’un des principaux moteurs de la crise des démocraties, appelant l’instauration de pouvoirs autoritaires qui s’appuient sur le rétablissement de l’ordre pour justifier la suppression de l’État de droit.
La France est particulièrement exposée à la violence, qui constitue l’une des causes majeures du populisme. Et ce, tout particulièrement du fait du terrorisme islamique, qui, avec plus de 250 morts et près de 1 000 blessés depuis janvier 2015, place notre pays en troisième position dans le monde par le nombre de victimes du djihadisme en dehors des zones de guerre.
Voilà pourquoi l’attentat de la préfecture de police de Paris est d’une extrême gravité. Plus encore que lors des précédents attentats, on ne peut que rester interdit devant l’enchaînement des failles et des erreurs qui ont permis au tueur d’opérer sans être autrement inquiété : radicalisation avérée et connue depuis 2015, alertes répétées non signalées, liens ignorés avec les islamistes de Gonesse et un imam salafiste dont l’obligation de quitter le territoire est restée sans effet, contacts étroits avec les radicalisés antillais. On ne peut qu’être glacé devant les conséquences de ce Diên Biên Phu de la sécurité : l’amplification du malaise et de la paralysie des forces de police, l’accélération de la spirale de peur et de haine qui installe une guerre civile froide.
La responsabilité du ministre de l’Intérieur est lourdement engagée. Aussi idolâtre de la communication qu’ignorant des exigences de sa fonction, il s’est une nouvelle fois discrédité par des déclarations fausses et contradictoires, illustrant la maxime du cardinal de Retz selon laquelle « il sied encore plus mal à un ministre de dire des sottises que d’en faire ».
Le plus grave tient à ce que, quatre ans après, l’État n’a tiré aucune conséquence du drame du Bataclan. La France se distingue par la situation critique de ses forces de sécurité intérieure, qui sont à la fois épuisées, en partie non payées et sous-équipées.
La sécurité est la première victime de la paupérisation de l’État régalien avec un budget du ministère de l’Intérieur limité à 11 milliards quand celui de la justice plafonne à 7,5 milliards sur 1 300 milliards de dépenses publiques. Mais le manque de moyens est aussi aggravé par une organisation et une culture obsolètes. Dans un monde ouvert et connecté, les grandes directions, à l’image de la préfecture de police de Paris ou des services de renseignements, fonctionnent en silos et se disputent compétences et moyens au lieu de coopérer. Au nom du culte de la proximité et de la réactivité, il n’existe ni planification, ni programmation, ni centre opérationnel permanent pour gérer la sécurité sur le territoire national, ce qui interdit la conduite d’une stratégie de long terme et limite la capacité de gestion de crise.
Le mal est surtout politique et moral. Dans les services publics s’est répandue une culture du déni et du silence face à la montée du fondamentalisme. Sous la pression du principe d’identité et du communautarisme, l’État a renoncé à défendre la laïcité comme la neutralité du service public. On ne licencie ni on ne sanctionne un radicalisé ; on le déplace, lui permettant ainsi de faire de nouveaux convertis. La sécurité publique est indispensable pour la paix civile comme pour la lutte contre le populisme, où son rôle est plus décisif encore que la hausse du pouvoir d’achat. Elle doit être redéfinie autour de quatre axes. Un réinvestissement massif pour porter le budget de la sécurité intérieure à 1 % du PIB. Une modernisation radicale de l’organisation du ministère de l’Intérieur autour de l’anticipation, de la prévention et de la coordination. Une stratégie globale associant sans les confondre police, justice et armées. Une approche européenne privilégiant la lutte contre le terrorisme, la protection des infrastructures essentielles et le contrôle des frontières extérieures de l’Union.
Avec l’islam, la sécurité constitue le principal angle mort du quinquennat, ouvrant un vaste espace politique à l’extrême droite. L’État ne peut continuer à être aussi dur et impitoyable envers ses citoyens – qu’il n’hésite pas à soumettre à une surveillance numérique généralisée sur les réseaux sociaux au mépris des libertés pour vérifier leur situation fiscale – que mou et impuissant face aux islamistes. L’islam en tant que foi doit être non seulement respecté mais défendu au nom de la liberté de pensée, qui inclut la religion ; l’islamisme en tant que projet politique liberticide doit être combattu jusqu’à son éradication avec toutes les armes de l’État de droit.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 octobre 2019)