États-Unis, Royaume-Uni, Italie, Turquie, Brésil… Partout, les expériences populistes virent au fiasco. Mais par quoi seront-elles remplacées ?
Comme dans les années 1930 face aux totalitarismes, les démocraties sont aujourd’hui engagées dans une lutte à mort contre un ennemi qu’elles ont engendré : le populisme. L’onde de choc née en 2016 du Brexit au Royaume-Uni et de l’élection de Donald Trump aux États-Unis continue à se propager, avec pour dernière manifestation la poussée de l’AfD en Allemagne à l’occasion des élections en Saxe et au Brandebourg. Pour autant, l’aspiration des hommes à la liberté n’est pas morte, comme le souligne la mobilisation des peuples, de Hongkong à Caracas en passant par Moscou. Par ailleurs, les dirigeants populistes accumulent les échecs quand ils sont au pouvoir, donnant raison à Péguy lorsqu’il écrit : « Les triomphes des démagogues sont passagers. Mais les ruines sont éternelles. »
Aux États-Unis, les seuls résultats tangibles du populisme de Donald Trump sont la démondialisation, la probable perte de 1 point de PIB d’ici à 2020 en raison de la guerre commerciale avec Pékin, la destruction du système multilatéral et le démantèlement des alliances occidentales, qui laissent le champ libre à la Chine, aux démocratures et aux djihadistes. Au Royaume-Uni, le Brexit, loin de restaurer la souveraineté du Parlement, est en passe de détruire la démocratie, soulignant la fragilité d’une Constitution non écrite face aux démagogues. Le projet de Boris Johnson de contourner le Parlement pour forcer un Brexit sans accord a fait long feu. Mais le blocage des institutions est complet, tandis que l’économie poursuit sa descente aux enfers, que la société se déchire et que la nation se défait avec la rupture de la paix civile qui se dessine en Irlande du Nord. L’Italie vient de vivre l’un des plus spectaculaires renversements politiques de son histoire. Le Parlement élu en mars 2018 a investi, sous l’autorité du même président du Conseil des ministres, Giuseppe Conte, une coalition techno-populiste composée du Parti démocrate et du Mouvement 5-étoiles pour succéder à la coalition antisystème. Et ce avec des modifications de programme limitées à l’abandon de la flat tax, au recentrage de la réforme des retraites sur la réévaluation des petites pensions et à l’encadrement de l’autonomie fiscale des régions du Nord. Le ciment du nouveau gouvernement est le refus des élections anticipées, afin de mettre en échec la tentative de Matteo Salvini, fort de son succès lors du scrutin européen, de bouleverser le calendrier électoral pour constituer un gouvernement des droites extrêmes. Défait à court terme, Salvini est loin d’avoir dit son dernier mot. C’est la capacité du nouveau gouvernement à traiter les problèmes structurels qui fera basculer l’Italie vers le populisme d’extrême droite ou la maintiendra dans la démocratie.
Le bilan des populistes n’est pas plus flatteur dans le monde émergent. En Turquie, Recep Tayyip Erdogan cumule une récession de 2,5 % du PIB, une inflation de 16 % et un taux de chômage de 14,1 % sur le front intérieur, avec un isolement croissant sur le front extérieur. Il s’est en effet coupé des États-Unis et de l’Otan en s’équipant de missiles russes S-400, de l’Union européenne avec les forages illégaux dans les eaux chypriotes, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, de la Syrie et d’Israël du fait de son soutien aux Frères musulmans. La situation est semblable au Brésil, où Jair Bolsonaro, à défaut de réaliser l’indispensable réforme de l’État, de la fiscalité et des retraites, a fait replonger l’économie dans la récession et le chômage de masse, déclaré une guerre culturelle à la société et ruiné l’image du pays en organisant la déforestation de l’Amazonie.
Partout où ils accèdent au pouvoir, les populistes se fracassent donc contre le mur de la réalité, prouvant que la répétition d’un mensonge ne fait jamais une vérité. Au lieu de reprendre le contrôle, ils créent le chaos. Mais les séquelles de leur action sont durables : blocage du développement et paupérisation des peuples ; ensauvagement de la société et installation d’un climat de guerre civile ; désintégration de l’Etat de droit et des institutions démocratiques ; exacerbation des tensions internationales. Le naufrage des populistes ne règle cependant en rien le problème de l’effondrement de la démocratie. La résistance du parlementarisme face à la « peuplecratie » et de l’État de droit face aux coups de force ne suffira pas. Car l’échec cuisant des expériences populistes peut déboucher sur une fuite en avant vers la violence et l’autoritarisme. Les démocraties ne survivront qu’en construisant une alternative politique au populisme, en reconstruisant un pacte économique, social et citoyen – comme elles le firent à la fin du XIXe siècle puis en 1945 – et en refondant leur alliance. Le seul véritable antidote au populisme, c’est la liberté politique. Mais elle reste à réinventer à l’ère des données et de l’Histoire universelle.
(Chronique parue dans Le Point du 12 septembre 2019)