Pour maintenir l’écosystème de la Terre, il est urgent d’enclencher quatre séries d’initiatives.
Les 26 000 incendies de l’Amazonie, en hausse de 88 %, selon l’Agence spatiale brésilienne, furent au cœur des débats du G7 à Biarritz. Une aide d’urgence de 20 millions de dollars a été décidée pour aider à les maîtriser, ouvrant entre la France et le Brésil une crise diplomatique sans précédent depuis le régime militaire. S’il est vrai que Jair Bolsonaro a suspendu l’application des lois qui protègent l’Amazonie, son administration n’a pas le monopole de la destruction de la forêt, qui a diminué de 20 % depuis les années 1960, y compris sous les présidences de Lula et de Dilma Rousseff. Par ailleurs, des feux géants frappent également la Sibérie, où 3 millions d’hectares ont déjà brûlé cette année, le cercle arctique, la Californie, l’Indonésie, le Congo ou l’Angola.
Au-delà de la démonstration des ravages effectués par les leaders populistes, les feux qui dévastent l’Amazonie posent la question de la protection des biens communs – forêts, haute mer, fonds marins, pôles, atmosphère – dont dépendent l’avenir de la planète et donc celui de l’humanité.
L’ampleur et la vitesse de la dégradation des écosystèmes de la Terre ne fait aucun doute. La moitié des sols sont détériorés. Les pénuries d’eau affectent 1,7 milliard des 7,6 milliards d’hommes. La température terrestre augmenterait de 4,5 °C d’ici à la fin du siècle, provoquant une montée des eaux de plusieurs mètres. L’effet du dérèglement climatique n’est pas un risque, mais une réalité immédiate, comme le montre la multiplication des catastrophes naturelles, responsables de 42 milliards de dollars de pertes et de plus de 5 000 morts au premier semestre de 2019.
Trois espaces sont vitaux pour l’environnement. Les forêts, tout d’abord, qui piègent les émissions de carbone (14 % pour l’Amazonie), régulent le climat et contribuent à la biodiversité (15 000 espèces d’arbres en Amazonie, contre 300 en Europe). Les pôles, ensuite. Les océans, enfin, qui absorbent 90 % de la chaleur et le tiers des émissions de carbone, et restent le principal refuge de la biodiversité en abritant entre 1 et 3 millions d’espèces dans les très grandes profondeurs.
Or ces espaces sont vulnérables et très fragilisés. La forêt occupe 30 % des terres émergées, mais elle perd, en tenant compte des plantations, 5 millions d’hectares par an. Les pôles voient se multiplier les revendications de souveraineté et les projets d’activités, de la navigation à l’exploitation des richesses en énergie et en métaux. Les océans, dont 13 % de la surface seulement demeurent exempts de toute trace humaine, sont menacés par la hausse de la température des mers, qui atteint 1 degré depuis le XIXe siècle, leur acidification, la pollution – notamment par quelque 150 millions de tonnes de plastique qui forment un septième continent au milieu du Pacifique –, la surpêche et le développement des opérations offshore.
Deux raisons expliquent la dégradation des régulateurs de la planète : l’exploitation des ressources naturelles et la volonté d’appropriation de ces espaces hautement stratégiques par les États. En témoignent la multiplication des revendications de souveraineté sur les pôles, l’extension des eaux territoriales et la création d’une zone économique exclusive de 200 miles par la convention de Montego Bay, en 1982, ou, très récemment, l’offre faite par Donald Trump au Danemark de racheter le Groenland, riche en terres rares.
Une course de vitesse s’engage donc pour préserver les espaces qui maintiennent l’écosystème de la Terre et qui restent paradoxalement peu protégés, notamment en raison du principe de souveraineté des États. Pour cela, quatre séries d’initiatives s’imposent.
- Le statut de bien commun de l’humanité doit être juridiquement reconnu et attribué à la haute mer et aux pôles afin de mettre fin aux tentatives d’appropriation et d’assurer leur protection. De res nullius, statut imaginé par Grotius en 1604 pour fonder la liberté des mers, ils ont vocation à devenir des res communis, afin de passer d’une logique d’accès généralisé à une logique de conservation. Pour être légitime, cette gouvernance planétaire doit associer les grandes puissances et les pays émergents sous l’autorité de l’Onu.
- La vérification et la transparence de l’information constituent une arme aussi décisive pour protéger l’environnement que pour lutter contre l’arbitraire. Le Brésil vient d’en faire la démonstration puisque Jair Bolsonaro a dû se résoudre à lutter contre les incendies de l’Amazonie sous la pression de son opinion publique, des risques de sanctions commerciales et de l’atteinte portée à l’image de son pays. Une surveillance internationale des forêts, des pôles et des océans devrait être mise en place, tant pour servir à la prévention et à l’alerte contre les feux ou les tsunamis que pour mettre les données à la disposition des chercheurs et des représentants de la société civile, qu’il faut mobiliser.
- Les pays développés n’ont pas d’autre choix que d’aider financièrement, technologiquement et commercialement les pays du Sud – où se trouvent 80 % des forêts primaires – à mettre fin à la déforestation et à protéger les océans, notamment grâce au retraitement des plastiques. Les traités de commerce, loin d’être hostiles à l’environnement, sont ainsi l’instrument idéal pour lier accès au marché et aides au développement, à la conservation des forêts et des mers.
- L’arme économique la plus efficace contre le dérèglement du climat demeure la taxation du carbone. Elle nécessite de remplir deux conditions : un champ géographique très large, afin d’éviter des biais de compétitivité, qui se traduiraient par des transferts massifs d’activités et d’emplois ; la baisse des impôts et charges sur le travail, dans le cadre d’un nouveau contrat économique et social, pour la rendre acceptable par les citoyens des pays développés.
À l’âge de l’histoire universelle, rien n’est plus à même de rassembler et de mobiliser les hommes que la survie de la planète, qui constitue leur patrimoine commun et qui détermine leur avenir. La reconnaissance et la protection des biens communs de l’humanité sont à la fois la clé de la défense de l’environnement et la meilleure des réponses aux nationalistes et aux populistes.
(Chronique parue dans Le Point du 05 septembre 2019)