Pour sortir la Grèce du populisme et de la crise, le nouveau premier ministre Kyriakos Mitsotakis aura besoin du soutien de l’Europe.
Les élections européennes de 2019, pour la première fois, ont bouleversé les équilibres partisans et le gouvernement de plusieurs des pays membres de l’Union. Ainsi en va-t-il de la Grèce où Alexis Tsipras, dont le parti Syriza a été distancé de dix points le 26 mai, s’est résolu à des élections législatives anticipées. Tenues le 7 juillet, elles ont débouché sur une victoire nette de la Nouvelle Démocratie de Kyriakos Mitsotakis.
Pour ne représenter que 3 % du PIB de la zone euro, la Grèce demeure un pays très important pour le destin et l’avenir de l’Europe. Elle constitue en effet un laboratoire des chocs et des crises qu’affrontent les démocraties du continent. Elle lança la crise de l’euro en raison de sa situation de défaut potentiel à la fin de 2009, avant de faire l’objet du plus vaste plan de restructuration de l’histoire. Elle fut la principale porte d’entrée en Europe des réfugiés du Moyen-Orient avant la fermeture de la route des Balkans par Viktor Orban. Elle inaugura les coalitions populistes dès 2015 avec l’alliance contre-nature de Syriza et des ultranationalistes Grecs indépendants.
La défaite de Syriza et le retour au pouvoir de la droite modérée en Grèce s’expliquent par deux raisons principales. Sur le plan politique, la volte-face de l’été 2015 a laissé de profondes séquelles. Alexis Tsipras organisa un référendum en juillet pour appeler au rejet de l’accord avec l’Union avant de s’y rallier, de le faire valider lors des législatives de septembre et d’appliquer la politique d’austérité exigée par les créanciers du pays. Sur le plan économique, la stratégie d’ajustement en est restée déséquilibrée, permettant la sortie de la récession mais non pas la sortie de crise. La très forte hausse de la fiscalité sur les classes moyennes et les entreprises a permis le rétablissement d’un excédent primaire de 3,5 % du PIB, au prix d’un effondrement du niveau de vie, revenu vingt ans en arrière, et du blocage de l’investissement. Le refus de réformer le modèle clientéliste et un État hypertrophié a toutefois alimenté la défiance des créanciers du pays, interdisant l’allégement significatif d’une dette publique qui culmine à 180 % du PIB et reste insoutenable.
Les Grecs ont confié à Kyriakos Mitsotakis un mandat aussi simple que redoutable : sortir le pays du populisme et de la crise. L’objectif consiste à faire passer la croissance de 2 à 4 % par an grâce à la baisse des impôts, à un programme de libéralisation et de privatisation, à la relance de l’investissement et à la réforme de l’État.
La priorité est donnée à la modernisation de la production grâce aux capitaux internationaux, dont les entrées ont atteint 3,6 milliards d’euros en 2018. Avec un atout : la stabilisation du système politique autour de deux grandes forces modérées, la Nouvelle Démocratie et Syriza, qui a remplacé le Pasok, tandis que les extrémistes – notamment les néonazis de l’Aube dorée – ont été évincés du Parlement. Avec deux obstacles : le coût des mesures électoralistes adoptées par Alexis Tsipras (13e mois pour les petites retraites, baisse de TVA sur les produits alimentaires, revalorisation de 11 % du salaire minimum) qui ont ramené l’excédent primaire à 2,9 % du PIB ; la vigilance renforcée des créanciers qui refusent toute renégociation de l’accord de 2018 et le risque d’une réaction violente des marchés financiers en cas de nouvelle dérive des finances publiques.
D’où le choix effectué par Kyriakos Mitsotakis du choc et de la vitesse avec la constitution d’un gouvernement resserré, le vote de confiance par la Vouli en une semaine, la volonté d’adopter dès cet été trois projets de loi majeurs portant sur la révision du Code pénal et la sécurité, la diminution des impôts et la réforme de l’éducation.
La Grèce est le seul pays développé qui a connu, depuis 2008, un choc équivalent à celui de la dépression des années 1930 avec la chute de 27 % du PIB et un taux de chômage de plus de 26 % des actifs. Au moment où se profile une nouvelle secousse financière, les leçons de cette terrible crise méritent d’être tirées.
Le surendettement, y compris en période de taux bas, est une arme de destruction massive de l’économie et de la démocratie, notamment lorsqu’un pays emprunte en monnaie étrangère, ce qui est le cas au sein de la zone euro. En cas de tension financière, l’alignement de l’Union et des marchés financiers oblige à choisir entre le défaut ou le respect des engagements européens, auxquels se sont finalement pliés Alexis Tsipras comme Matteo Salvini. Le coût économique et social effroyable acquitté par la Grèce, qui contraste avec la sortie de crise rapide et vigoureuse de l’Irlande, de l’Espagne et du Portugal, illustre le danger des solutions populistes et la supériorité des stratégies d’ajustement conduites par les gouvernements modérés. L’Union doit soutenir la sortie de crise de la Grèce en engageant une restructuration de sa dette en lien avec le FMI. Il revient à la zone euro de renforcer d’urgence ses mécanismes de gestion des crises afin d’éviter la réédition du télescopage calamiteux de la démagogie grecque et du dogmatisme allemand. À rebours du basculement de la Turquie vers la démocrature islamique et la Russie, l’ancrage de la Grèce dans l’Europe, dans la zone euro et dans l’Otan s’est révélé décisif dans la résistance de sa démocratie à la crise économique comme à la tentation populiste.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 juillet 2019)