L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur relance l’intégration économique de l’Amérique latine et promeut le développement durable.
Au terme de vingt années de négociations, l’Union européenne a signé le 28 juin un accord historique avec le Marché commun du Sud, le Mercosur, qui couvre toute l’Amérique latine, à l’exception du Venezuela, pour créer la plus vaste zone de libre-échange du globe. Elle donne naissance à un marché de 780 millions de personnes qui représente le quart du PIB mondial (18 00 milliards de dollars). Le traité prévoit la suppression des droits de douane sur 91 % des exportations de l’Union européenne et 93 % des exportations sud-américaines, la protection des appellations d’origine contrôlée, l’ouverture réciproque des marché publics et, enfin, sur le plan de l’environnement, l’engagement de respecter l’accord de Paris et de lutter contre la déforestation.
Au moment où la guerre commerciale lancée par Donald Trump s’intensifie, l’accord conclu par l’Union avec le Mercosur constitue un signal politique très positif. Il marque le choix de l’ouverture par le Brésil et l’Argentine, condition de leur développement. Il relance l’intégration économique de l’Amérique latine et consolide la démocratie face à l’onde de choc populiste qui parcourt le continent. Il témoigne aussi de la résistance qui s’organise contre Donald Trump et son entreprise de destruction de tout ordre international, particulièrement dans les domaines critiques du commerce et de l’environnement. Enfin, il marque, après les accords négociés avec le Japon, la Corée du Sud et le Canada, un sursaut des Européens, qui refusent d’être réduits à une variable d’ajustement dans la confrontation entre les États-Unis et la Chine, ainsi que leur volonté de défendre le modèle de développement inclusif, équitable et durable qui leur est propre.
L’accord, célébré en Amérique latine, a paradoxalement suscité un tir de barrage en Europe, notamment au nom de la protection de l’environnement. Au-delà du Mercosur, c’est le principe des échanges internationaux qui se trouve combattu par les écologistes, à l’image de Nicolas Hulot, qui prétend que « le libre-échange est à l’origine de tous les problème climatiques ». Le contresens est complet, témoignant de la dérive idéologique d’une partie des écologistes, qui confondent la lutte contre le réchauffement climatique avec la critique radicale de l’économie de marché et l’antilibéralisme.
À l’image du Ceta, traité signé avec le Canada, l’accord avec le Mercosur est exemplaire des traités de commerce du XXIe siècle, qui ne portent pas seulement sur les droits de douane ou les obstacles tarifaires et non tarifaires, mais qui intègrent pleinement la régulation, donc les normes sociales, sanitaires et environnementales. Loin de s’opposer à la protection de l’environnement, ces traités deviennent donc des pièces essentielles de la transition écologique. Ainsi, l’accord de Paris a été incorporé au Ceta par une déclaration interprétative d’octobre 2016 et figure dans le pacte avec le Mercosur, qui comprend également un engagement à lutter contre la déforestation. Les deux traités prévoient par ailleurs le contrôle des engagements pris en matière d’environnement et une clause de sauvegarde qui permet d’en suspendre l’application en cas de violation. Enfin, le vote de ces traités par le Parlement européen et par les parlements nationaux ainsi que le débat public auquel il donne lieu assurent leur transparence et leur caractère démocratique.
La condamnation des échanges de biens et de services est aussi absurde d’un point de vue économique et social que d’un point de vue écologique. C’est en effet la production qui génère les deux tiers des émissions de carbone, alors que le transport maritime, qui assure 80 % des échanges de marchandises, n’occupe qu’une place marginale. Par ailleurs, rien ne serait plus désastreux pour l’environnement que la fermeture des économies, qui conduirait par exemple les pays du Golfe à se lancer dans l’agriculture et l’élevage au prix d’une empreinte carbone démesurée.
Les échanges de biens et de services sont indispensables pour équiper les pays émergents en moyens de production d’énergie, de mobilité et de production durable. De même, seules la mobilisation des marchés financiers et la liberté des mouvements de capitaux peuvent permettre de mobiliser les 30 000 milliards de dollars requis d’ici à 2030 pour financer la transition écologique.
Le libre-échange constitue donc l’un des instruments majeurs de la lutte contre le changement climatique. Donald Trump en administre la preuve a contrario, lui qui lie protectionnisme, démantèlement du système multilatéral et négation du réchauffement climatique. La guerre commerciale, la fragmentation du système économique mondial et la confrontation entre les grandes puissances annihilent toute chance d’endiguer le changement climatique. À l’inverse, il existe un lien indissociable entre la transition écologique, le développement et la coopération internationale.
La lutte contre le réchauffement ne peut réussir sans une réduction de la pauvreté et sans une action concertée des États. Or les traités de commerce en sont la clé de voûte, comme le souligne la création de la zone de libre-échange continentale africaine lancée le 7 juillet à Niamey. Il n’est pas de meilleur instrument pour généraliser, aujourd’hui, les clauses environnementales et, demain, la tarification du carbone, qui reste l’arme fatale contre le réchauffement climatique. Il n’est pas de meilleur levier à la disposition de l’Europe pour promouvoir une mondialisation durable. « C’est presque une règle générale que partout où il y a des mœurs douces il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce il y a des mœurs douces », soutenait Montesquieu. Au XXIe siècle, c’est une règle générale que partout où il y a du commerce il y a de l’écologie, et partout où il y a de l’écologie il y a du commerce.
(Chronique parue dans Le Point du 18 juillet 2019)