Du Soudan à Hongkong, en passant par le Kazakhstan, les résistants aux tout-puissants se mobilisent, souvent au prix de leur propre vie.
La démocratie connaît sa crise la plus profonde depuis les années 1930, marquée par un recul pour la treizième année consécutive, sous la pression des démocratures, du djihadisme, mais surtout de l’onde de choc populiste qui frappe le monde développé. Vladimir Poutine a affirmé, dans le Financial Times, que la démocratie et le libéralisme sont « obsolètes », car antagonistes de l’aspiration profonde des peuples à défendre leur identité et leur sécurité.
Contestée par des régimes politiques qui récusent la liberté, la démocratie n’a pas pour autant perdu la partie. Tout d’abord, les démocratures comportent aussi leurs fragilités. La Chine de Xi Jinping pourra difficilement conquérir et conserver le leadership d’une économie d’innovation en rétablissant un contrôle idéologique étroit du Parti communiste sur les citoyens, les chercheurs et les entreprises ; la Russie de Vladimir Poutine conduit une politique de puissance au prix d’un suicide démographique et économique ; le rêve néo-ottoman de Recep Tayyip Erdogan bute contre l’effondrement de son modèle de croissance par la dette ; les expériences populistes, à l’image de l’Italie, échouent à rendre aux citoyens leur confiance dans l’avenir.
L’aspiration à la liberté reste bien vivace, jusque dans la sphère d’influence des démocratures. À Hongkong, plus de 2 millions de personnes sur les 7,4 millions que compte le territoire ont défilé, le 16 juin, pour rejeter le projet de loi liberticide autorisant l’extradition de suspects vers la Chine. Le développement chinois est donc conciliable avec la liberté, contrairement à ce que soutient Xi Jinping. À Istanbul, Ekrem Imamoglu a remporté, le 23 juin, une victoire sans appel avec 54 % des suffrages, lors du second scrutin auquel l’avait forcé Recep Tayyip Erdogan, qui refusait d’admettre la perte de la ville qui génère 31 % du PIB du pays. L’ex-Asie soviétique n’est pas en reste, qui, de la Géorgie à l’Arménie en passant par le Kazakhstan, est le théâtre de manifestations de masse pour réclamer une réelle indépendance vis-à-vis de Moscou. En République tchèque, 250 000 personnes ont manifesté à Prague, le 23 juin, pour demander la démission du Premier ministre, Andrej Babis, convaincu de fraude aux subventions européennes.
En Algérie, la population s’est soulevée pour mettre en échec la réélection programmée d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat. Le bras de fer entre les manifestants et l’état-major, dirigé par le général Ahmed Gaïd Salah, se prolonge. Au Soudan, de même, la population s’est rebellée, conduisant l’armée à destituer, le 11 avril, le président Omar el-Bechir, au pouvoir depuis 1989, puis engageant, au prix d’au moins 136 morts depuis le sit-in du 3 juin, un mouvement de désobéissance civile contre le Conseil militaire de transition.
Ces mobilisations demeurent fragiles, à la merci d’une répression violente, mais elles délégitiment la mythologie des hommes forts en prouvant qu’ils ne sont pas tout-puissants. Elles ont pour moteur la jeunesse et la classe moyenne urbaine, éduquée et connectée. Enfin, elles s’organisent à travers les réseaux sociaux, selon un modèle décentralisé qui complique l’émergence de leaders et d’un projet politiques, mais qui rend également plus difficile leur répression.
Sous la guerre des civilisations, des cultures et des religions, la liberté politique, en tant qu’elle permet aux individus et aux nations de décider de leur destin, reste une idée neuve au XXIe siècle. Au lieu de céder aux sirènes des démagogues, les démocraties doivent se ressaisir. En démontrant que la liberté est parfaitement compatible avec la lutte contre les inégalités, le développement et la stabilité. En imaginant un modèle de croissance inclusive, socialement et écologiquement soutenable. En réaffirmant l’État de droit. En réinvestissant dans la sécurité. Mais surtout en retrouvant la foi dans la valeur universelle de la liberté et le courage de la défendre, au moment où, dans nombre de pays, des hommes continuent à risquer leur vie pour elle.
(Chronique parue dans Le Point du 11 juillet 2019)