Hongkong, pour l’heure, a assuré sa survie au prix du renforcement de la menace politique qui pèse sur le territoire.
L’année 1989 a vu, avec la chute du mur de Berlin la clôture du XXe siècle, mais aussi, avec l’écrasement du mouvement des étudiants chinois sur la place Tiananmen, la naissance du modèle autoritaire qui s’impose aujourd’hui comme une alternative à la démocratie. Ce régime de total-capitalisme, que Pékin exporte à travers les « nouvelles routes de la soie », fait l’objet d’une contestation inédite à Hongkong.
Sous la pression de Xi Jinping, l’exécutif de Hongkong, dirigé par l’ambitieuse Carrie Lam, avait préparé un projet de loi autorisant l’extradition de suspects vers la Chine en violation de la déclaration sur la restitution du 19 décembre 1984. Ce nouveau tour de vis s’inscrivait dans la longue série de mesures renforçant la mainmise de Pékin sur le territoire depuis 2012 : encadrement de la liberté d’expression et des médias, interdiction d’un parti indépendantiste, emprisonnement des leaders du « mouvement des parapluies » en 2014, enlèvement de cinq libraires dissidents en 2015, disparition de l’homme d’affaires Xiao Jianhua en 2017. Il est devenu le coup de force de trop, provoquant des manifestations de masse qui ont culminé le 16 juin avec la mobilisation de plus de 2 millions de personnes sur les 7,4 millions que compte le territoire. Elles ont contraint Carrie Lam, sur instruction de Pékin, à suspendre le texte pour tenter d’endiguer la protestation qui a pris au dépourvu tant les autorités de Hongkong que le gouvernement chinois.
Depuis la rétrocession de Hongkong à la Chine en 1997, le principe « un pays, deux systèmes » acté par Deng Xiao Ping a été écorné à de multiples reprises. Jamais cependant une crise d’une telle ampleur n’avait éclaté. Jamais surtout les autorités de Pékin n’avaient reculé, si grande est leur volonté d’affirmer le primat d’un système unique fondé sur le monopole du pouvoir du Parti communiste ainsi que leur crainte d’une contagion à la Chine continentale de toute forme de revendication en faveur de la liberté politique.
L’arbitrage rendu par Xi Jinping en faveur de la prudence contre le recours à la violence ne doit pas être surestimé. Il n’en reste pas moins que la reculade de Pékin constitue un symbole fort qui porte atteinte à l’image d’empereur rouge tout puissant cultivée par Xi Jinping.
Trois raisons peuvent contribuer à expliquer, sur fond du trentième anniversaire du massacre de Tiananmen, la réserve des autorités chinoises. La position de la communauté des affaires de Hongkong tout d’abord, qui a clairement exprimé ses inquiétudes sur l’attractivité du territoire : or Hongkong, si elle ne pèse plus que 3 % du PIB de la Chine contre 16 % en 1997, conserve un rôle vital pour le financement de l’économie avec 156 milliards de dollars de levées de fonds en 2018 contre 143 milliards pour Shanghaï et Shenzhen ainsi que l’accueil et la gestion de 60 % des investissements étrangers transitant vers la Chine. Par ailleurs, la confrontation commerciale, technologique et stratégique avec les États-Unis n’incite pas à ouvrir un nouveau front, a fortiori alors que l’économie chinoise ralentit fortement et que la fonction de sas remplie par Hongkong redevient stratégique avec la montée des barrières protectionnistes et des tensions monétaires. Enfin, Xi Jinping et sa stratégie de projection agressive de la puissance chinoise font l’objet de critiques croissantes au sein de la direction du parti comme en Asie.
La preuve est également apportée que le modèle autoritaire chinois, promu comme supérieur à la démocratie, est rejeté par la jeunesse, urbaine, éduquée et connectée quand elle peut s’exprimer et que l’absence de liberté politique et d’État de droit reste difficilement compatible avec une économie de services à haute valeur ajoutée fondée sur l’innovation. Surtout, la population de Hongkong cristallise les peurs croissantes que suscite en Asie et dans le monde le système chinois fondé sur la surveillance numérique généralisée de la population, le monopole du Parti communiste et un impérialisme qui avance désormais à visage découvert. Contrairement à ce que prétend Pékin, nombreux sont les hommes, y compris en Asie, qui vivent et conçoivent le rêve chinois comme un cauchemar.
Hongkong, pour l’heure, a assuré sa survie, mais au prix du renforcement de la menace politique qui pèse sur le territoire et qui crée une incertitude radicale sur son avenir, surplombé par la disparition de son autonomie en 2047. À terme, Pékin qui ne veut qu’un pays et qu’un système l’emportera. Mais autour de la résistance de la population de Hongkong au total-capitalisme de Xi Jinping se joue une part du destin du XXIe siècle, avec la volonté et la capacité de l’Asie de se mobiliser pour acclimater la liberté politique ou d’y renoncer définitivement en cédant aux ambitions impériales de la Chine.
(Chronique parue dans Le Figaro du 24 juin 2019)