La transition écologique devient le symbole de l’incapacité des démocraties à installer un développement soutenable.
Les européennes, si elles ont vu une poussée des forces populistes, furent aussi marquées par une mobilisation positive des citoyens pour maintenir l’intégration du continent et de la jeunesse pour défendre l’environnement. Ceci invite d’autant plus à placer la transition écologique au cœur de l’agenda européen que l’environnement relève de la gestion des risques globaux qui constitue la raison d’être de l’Union. Mais dans le même temps, réglementations et fiscalité environnementales, qui pèsent lourdement sur la population en voie de déclassement et sur les territoires périphériques, alimentent la vague populiste, comme l’a montré le mouvement des « gilets jaunes » initié par la révolte contre la taxe carbone en France.
Les dirigeants ne sont pas moins schizophrènes que les citoyens. La transition écologique devient le symbole de la paralysie des institutions politiques, et notamment de l’incapacité des démocraties à faire émerger un nouveau pacte en faveur d’un développement soutenable. Pour l’Union, qui oscille entre relance et éclatement, elle constituera un test décisif de sa capacité à dépasser ses divisions pour se réinventer.
Sans être indigne, le bilan européen demeure très mitigé. Les dépenses en faveur de l’environnement se sont élevées à 180 milliards d’euros et des directives utiles ont été publiées dans les domaines de l’économie circulaire ou de l’interdiction des plastiques à usage unique. Mais la diminution des émissions de carbone a été interrompue – avant de renouer avec une légère baisse en 2018 -, en raison du grand désordre du marché de l’énergie provoqué par la décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire, ce qui s’est traduit par un recours massif au charbon et au gaz russe. Par ailleurs, 15 États sur 28 n’ont toujours pas remis leur plan de lutte pour la qualité de l’air.
L’Europe est en mesure de diminuer de moitié de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990, sans sacrifier ni la compétitivité de ses entreprises, ni le niveau de vie de ses citoyens. Mais elle doit se doter d’une stratégie cohérente tant au niveau de l’Union que des États qui la composent, ce qui suppose de rompre avec l’idéologie et les dogmes.
La transition écologique doit conjurer trois erreurs majeures. La tentation autoritaire, avec l’affirmation que le bouleversement des modèles économiques et des modes de vie serait trop important pour être compatible avec la liberté politique. La tentation malthusienne de la décroissance, alors que l’objectif ne consiste pas à diminuer la production mais à la transformer qualitativement, notamment à travers la révolution numérique : ni les citoyens ni les dirigeants, dans les pays développés comme dans le monde émergent, n’accepteront une politique fondée sur la diminution des richesses et la paupérisation de la population.
La tentation dirigiste, promue par la France, organisée autour d’un vaste appareil de taxes intérieures et aux frontières, de réglementations, d’investissements publics et de transferts sociaux.
L’écologie doit cesser d’être cantonnée à la fiscalité et à la réglementation pour devenir une politique globale. Et ce autour de huit priorités : l’éducation, indissociable de la réhabilitation de l’approche et de la connaissance scientifiques ; la production, à travers le développement de filières dans les domaines de l’agriculture, du bâtiment, de l’énergie ou des transports, et l’innovation afin de casser le monopole des États-Unis et de la Chine ; la réintégration du nucléaire dans la décarbonation de l’énergie, notamment par la prolongation du parc en activité ; le développement de la finance verte pour mobiliser l’épargne privée, indispensable compte tenu du surendettement des États ; la mobilisation des instruments et des institutions publiques existants à travers le verdissement des mesures de soutien aux banques et aux États ; la définition des mesures et des normes applicables en matière de production et de finance vertes, afin d’éviter de dépendre d’organismes internationaux contrôlés par les États-Unis, comme dans les domaines de la comptabilité, de la finance ou du numérique ; le renforcement de la protection des forêts et plus encore des océans ; enfin, la défense du multilatéralisme et de l’accord de Paris.
La transition écologique doit être aujourd’hui, avec la sécurité, le laboratoire de la refondation de l’Europe, d’une nouvelle donne entre les États membres et d’une remobilisation des citoyens.
(Chronique parue dans Le Figaro du 03 juin 2019)