La politique du président américain est loin d’être la catastrophe annoncée. Mais la bonne santé apparente du pays est de fait très fragile.
Les États-Unis semblent connaître un miracle économique qui déjoue les prévisions pessimistes du FMI et de l’OCDE. La croissance a atteint 3,2 % au premier trimestre 2019. Le taux de chômage a été réduit à 3,6 % de la population active, son niveau le plus faible depuis 1969. Au total, 18,6 millions d’emplois ont été créés depuis 2009 – dont 4,5 millions depuis l’élection de Donald Trump –, ce qui porte le nombre de postes de travail à 156,6 millions, soit 10 millions de plus qu’avant la crise.
Le rétablissement du plein-emploi crée des tensions sur le marché du travail qui impulsent une hausse des salaires de 3,5 %, – et même de 4,4 % pour les travailleurs les plus pauvres. Et comme l’inflation reste limitée à 1,3 %, cela se traduit par une progression moyenne de 2,2 % du pouvoir d’achat. Dans le même temps se dessine enfin une amélioration de la productivité, qui progresse de 2,4 %, ce qui ouvre la voie à un relèvement de la croissance potentielle de 1,5 à 1,8 %.
Force est de constater que Donald Trump semble en passe de réussir là où les autres dirigeants des démocraties ont systématiquement échoué depuis le krach de 2008 : renouer avec le plein-emploi tout en endiguant la décomposition de la classe moyenne et la multiplication des travailleurs pauvres. Et ce à partir d’une stratégie de politique économique inédite qui associe une relance keynésienne, un soutien de l’offre, l’activation des moyens de puissance des États-Unis et le protectionnisme.
Les performances de l’économie américaine sont d’abord le fruit d’une politique budgétaire et monétaire expansionniste appliquée à une économie où le plein-emploi est atteint après une décennie de forte croissance. Le déficit public a été porté à 779 milliards de dollars en 2018 et 900 milliards en 2019, notamment du fait des baisses d’impôts dont le coût s’élève à 1 500 milliards de dollars sur dix ans. La dette publique s’est envolée pour culminer à 22 000 milliards de dollars, ce qui n’est soutenable que si la croissance est forte pour attirer les investisseurs et si les taux d’intérêt demeurent très bas. D’où les pressions politiques sur la Fed, qui l’ont contrainte à interrompre à la fin de 2018 son programme de relèvement des taux.
Le deuxième volet porte sur l’offre avec l’incitation fiscale pour les entreprises à investir grâce à l’accélération de l’amortissement. Les effets sont spectaculaires dans le secteur de l’énergie, où les hydrocarbures non conventionnels – dont la production progressera de 6,3 à 9,6 millions de barils par jour d’ici à 2023 – ont permis aux États-Unis de devenir le premier producteur du monde et le deuxième exportateur derrière l’Arabie saoudite. Enfin, Donald Trump a mobilisé sans aucun scrupule toutes les ressources qu’offre la puissance américaine, y compris contre ses alliés, qu’il s’agisse du privilège du dollar, dont le rôle sort renforcé de la crise, de l’application extraterritoriale des normes juridiques américaines ou des sanctions commerciales justifiées par l’impératif de la sécurité nationale.
En revanche, les mesures protectionnistes n’ont eu aucun effet économique. Sur le plan commercial, les Etats-Unis ont enregistré en 2018 un déficit de 621 milliards de dollars et de 891 milliards de dollars en dehors des services malgré les hausses des taxes douanières, tandis que l’excédent bilatéral chinois s’établissait à 323 milliards de dollars. Au final, les mesures protectionnistes et les représailles qu’elles suscitent réduisent la croissance mondiale à travers sa composante la plus dynamique, le commerce international, et affectent durement certains secteurs clés comme l’agriculture.
La stratégie de Donald Trump repose ainsi sur un arbitrage systématique en faveur du court terme. La stratégie de la surchauffe aboutira inévitablement à une reprise de l’inflation, donc à une hausse des taux d’intérêt insoutenable. Le couplage du stimulus fiscal, de la politique monétaire très expansionniste et de la dérégulation constitue une machine à créer de nouvelles bulles spéculatives, y compris au sein des entreprises américaines dont la dette dépasse désormais 9 000 milliards de dollars. Les baisses d’impôts centrées sur les plus aisés accroissent les inégalités. Le retrait des traités de commerce et de l’accord de Paris sur le climat ouvre de vastes espaces à la Chine. Le démantèlement d’un siècle de soft power américain coupe les États-Unis de leurs alliés et accélère la désoccidentalisation du monde.
Pour l’heure, le boom économique vaut à Trump d’être plébiscité par 46 % des Américains. Dans le même temps, la tension qu’engendrent les négociations commerciales avec la Chine, les menaces de guerre avec l’Iran ou l’impasse des négociations avec Kim Jong-un permet d’entretenir la mobilisation contre les ennemis extérieurs de l’Amérique.
Tout cela fait du président actuel un candidat difficile à battre en 2020, a fortiori si les démocrates s’enferment dans une dérive gauchiste. L’arme fatale contre Donald Trump n’est pas la publication du rapport Mueller ou le lancement d’une procédure d’impeachment, mais la récession que sa stratégie de la surchauffe pourrait transformer en nouvelle secousse financière majeure.
(Chronique parue dans Le Point du 16 mai 2019)