L’économie française ne repartira que si tout est mis en œuvre pour donner la priorité à l’emploi.
Les mots d’ordre des gilets jaunes et le grand débat voulu par Emmanuel Macron ont pour point commun d’avoir occulté la question du travail. Et ce quand bien même elle constitue la cause profonde des fléaux qui sapent l’économie, la société et la démocratie françaises.
La faiblesse de la croissance potentielle, inférieure à 1 %, est indissociable de la stagnation des gains de productivité (0,7 % par an) et du retard accumulé dans la révolution numérique et la transition écologique. Elle découle d’abord de l’insuffisante mobilisation du travail. Le taux d’emploi est limité à 65,7 % en raison de la faible activité des jeunes (28,6 %) et des seniors (29,2 %). La durée annuelle du travail est inférieure à 1 450 heures, contre 1 750 heures en moyenne dans l’OCDE.
Le chômage de masse continue à toucher 6,6 millions de personnes. Il s’accompagne des difficultés croissantes des entreprises pour recruter avec plus de 350 000 offres non pourvues, en raison, d’une part, de la perte d’attractivité des emplois dans l’industrie, les transports, le bâtiment et la restauration, et, d’autre part, de la pénurie de compétences dans les filières digitales. Le chômage structurel qui perdure depuis quatre décennies participe de la crise des classes moyennes comme de la polarisation de la société et du territoire. La dynamique de la pauvreté et de l’exclusion s’enracine dans l’existence de 2,850 millions de jeunes – dont 40 % issus de l’immigration – coupés de toute forme d’enseignement, de formation et d’emploi.
La croissance molle et le chômage de masse paupérisent la population et alimentent les demandes de transferts sociaux. D’où un cercle infernal où la hausse du pouvoir d’achat est obtenue par des aides de l’État financées par la dette publique – à l’image des mesures de la fin 2018, qui ont distribué artificiellement 850 euros par ménage –, impliquant de futures augmentations d’impôts qui détruisent la croissance et de l’emploi (les taxes et les charges des entreprises représentent 18 % du PIB, contre 9 % du PIB en Allemagne et 11 % dans la zone euro).
L’euthanasie du travail se trouve donc au cœur du mal français. Le chômage permanent qui frappe 8,8 % des actifs constitue une exception parmi les grands pays développés, qui ont renoué avec le plein-emploi, à l’image des États-Unis, qui ont créé plus de 20 millions d’emplois depuis 2009 et réduit le chômage à 3,8 %, de l’Allemagne (taux de chômage ramené à 3,3 %) et même du Royaume-Uni, où le taux de chômage est limité à 4 % en dépit du chaos issu du Brexit.
La situation est d’autant plus paradoxale que la qualité du capital humain représente l’un des atouts majeurs de notre pays. Mais elle est trop concentrée et mise à la disposition des entreprises de nos concurrents à travers l’exil des talents.
Le modèle social français, qui institue une préférence pour le chômage, est insoutenable. La reconstruction de la nation implique un nouveau pacte économique et social qui accorde la priorité au travail. L’augmentation de la durée du travail est particulièrement indispensable dans le secteur public, dont l’improductivité pèse très fortement sur les performances de la nation : or 310 000 fonctionnaires travaillent moins de 35 heures par semaine sans aucune justification liée à la nature de leur emploi ou à des contraintes de service public. A plus long terme, un plan d’investissement massif dans l’éducation et la formation doit être engagé pour accompagner les transformations profondes liées à la révolution numérique et à la transition écologique.
La réforme de la retraite est cruciale. D’un côté, la réalité de l’évolution démographique s’impose, qui a vu l’espérance de vie progresser de 72 à 82,2 ans depuis 1970 et le nombre d’actifs par retraité passer de 6 en 1945 à 2 en 2000 avec une perspective de 1,3 à l’horizon de 2060. De l’autre, les retraites mobilisent 14 % du PIB, contre 10 % dans l’Union européenne, et le revenu des retraités est supérieur de 3,4 % à celui des actifs. Le système est donc voué à un déficit structurel qui dépassera 5 milliards d’euros dès 2022. Dès lors émergent deux conclusions. 1. Si l’on exclut d’augmenter les cotisations, laquelle augmentation ruinerait définitivement la compétitivité des entreprises, ou de diminuer le montant des retraites de 51 à 45 % du salaire moyen, ce qui serait requis pour équilibrer le régime mais est massivement refusé par les Français, la seule solution passe par le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans – soit le seuil le plus bas en vigueur dans les autres pays développés, où il se situe entre 65 et 70 ans. 2. Le passage à une retraite par points ne garantit nullement la pérennité du système de retraite ; c’est l’équilibre financier du système actuel qui constitue la condition préalable du succès d’une réforme systémique.
Pierre Mendès France rappelait à raison que « gouverner, c’est choisir ». La croissance molle, le chômage structurel de masse et la paupérisation des Français sont le résultat de décennies d’immobilisme et de démagogie. Il faut désormais choisir : l’amélioration du pouvoir d’achat ou la semaine des 35 heures ; la chute des pensions ou le report de l’âge de la retraite à 65 ans.
(Chronique parue dans Le Point du 25 avril 2019)