Le dramatique incendie porte un appel à reconstruire la cathédrale mais surtout à refaire la France, à retrouver la foi dans la démocratie.
Marc Bloch, dans L’Étrange Défaite, affirmait qu’« il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la Fête de la Fédération ». Aujourd’hui de même, alors qu’une émotion et un élan de solidarité parcourent le monde à la suite de l’incendie qui a ravagé Notre-Dame, ceux qui polémiquent sur le coût de sa reconstruction, le montant des dons ou leur régime fiscal se condamnent à rester à jamais étrangers à la France et à son destin.
Notre-Dame est beaucoup plus que la cathédrale de Paris. Elle est un lieu de pèlerinage pour tous les chrétiens, autour de la Couronne d’épines du Christ acquise par Saint-Louis. Elle est la manifestation la plus éclatante de l’art gothique, invention française partie de Saint-Denis qui a conquis l’Europe. Elle est la maison commune des Français et le point zéro à partir duquel s’organise le territoire national. Elle incarne le génie et l’âme de la France dont elle réconcilie toutes les mémoires. Elle constitue l’un des fils conducteurs de sa littérature, de Rabelais et Ronsard à Proust et Claudel en passant par Victor Hugo. Le 15 avril, ce n’est donc pas seulement un des monuments les plus sublimes jamais construits par les hommes qui a brûlé mais plus de huit cents ans d’histoire et de beauté, de récits et de rêves.
L’incroyable coïncidence qui fait que cette tragédie s’est déroulée le premier jour de la semaine sainte et quelques minutes avant l’intervention du président de la République qui entendait clore la crise des « gilets jaunes » ne manque pas de déchaîner les théories complotistes. Elles sont ridicules. Mais il reste vrai que l’immense squelette démembré de Notre-Dame figure le visage de l’Église, de la France et de l’Europe. Grâce à l’héroïsme d’une poignée d’hommes encore capables d’engager leur vie pour des idéaux qui les dépassent, la structure résiste encore et de prodigieux éléments de décor survivent par miracle.
Les moments de plus grand péril sont aussi ceux qui peuvent permettre le salut. Ce dramatique incendie témoigne de la fragilité de la beauté, de la foi et de la démocratie, mais aussi du courage des hommes. Il porte un appel à reconstruire la cathédrale mais surtout à refaire la France, à retrouver la foi dans la démocratie.
Il faut revenir à la raison pour ce qui est de la reconstruction. Le but n’est pas de faire vite mais de faire bien, et ce d’autant que le financement est acquis. Le patrimoine obéit par excellence à une logique de long terme et ne doit pas être soumis à la tyrannie des émotions et de l’instant. Les déclarations du président de la République prétendant reconstruire en cinq ans, du premier ministre annonçant l’organisation d’un concours international pour la flèche ou de la maire de Paris insistant pour que la cathédrale puisse accueillir les visiteurs des Jeux olympiques sont à la fois inconséquentes et déplacées venant de la part de responsables qui n’ont jamais montré le moindre intérêt pour le patrimoine. Sa part dans le budget du ministère de la Culture s’élève à moins de 9 %, tandis que les églises de Paris sont dans un état de délabrement qui n’a rien à envier à Notre-Dame.
Il en va de même pour la France. Emmanuel Macron était sur le point de rééditer l’erreur de la fin de 2018 en annonçant une myriade de mesures catégorielles financées par la dette publique agrémentées de concessions aux populismes, à l’image de la suppression de l’ENA et de l’ENM qui sont autant de diversions pour ne pas réformer l’État et moderniser une justice exsangue. Soit tout sauf la réponse politique qui seule peut permettre de surmonter, au-delà du mouvement des « gilets jaunes », la crise majeure que traverse notre pays.
Le général de Gaulle rappelait que « le bifteck-pommes frites, c’est bon. La quatre-chevaux, c’est utile. Mais tout cela ne constitue pas une ambition nationale ». Les Français sont moins en attente d’augmentations fictives de pouvoir d’achat que d’unité et d’ambition nationales. Ceci suppose de mobiliser leur énergie et leur talent au lieu de les mépriser et de les atomiser en ne décidant qu’en fonction des individus ou des communautés sans jamais prendre en compte l’intérêt supérieur de la nation. Ceci suppose de faire des choix clairs au lieu de prétendre réformer tout en cultivant un populisme larvé. Ceci suppose qu’Emmanuel Macron rassemble, fédère, entraîne pour devenir l’homme de la nation et non pas seulement l’élu des circonstances.
Georges Duby soulignait qu’« il ne sert à rien de raconter l’histoire si elle ne sert pas les combats d’aujourd’hui et de demain ». La reconstruction de Notre-Dame de Paris doit être pour les Français l’occasion de renouer le fil de leur histoire qui se confond avec le combat pour la liberté et la dignité des hommes.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 avril 2019)