La dérive autocratique et nationaliste du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a renforcé l’opposition et ostracisé le Likoud.
Benyamin Netanyahou, en fixant fin 2018 les élections au 9 avril, entendait bien surpasser le record de David Ben Gourion, un des fondateurs d’Israël, en effectuant un 5e mandat en tant que Premier ministre. D’emblée, il a transformé le scrutin en un plébiscite qu’il semblait devoir gagner haut la main.
Sur le plan économique, Israël s’affirme comme l’un des pays développés les plus dynamiques. La situation macroéconomique est excellente, marquée par une croissance de 3,7 %, une inflation réduite à 0,9 %, un taux de chômage limité à 3,7 %, un excédent courant de 2,3 % du PIB, un déficit et une dette publics maîtrisés (3,2 et 61,5 % du PIB). Le développement est soutenu et stable, stimulé par la production de gaz offshore depuis 2013 et surtout par l’innovation et le secteur des hautes technologies, notamment la cybersécurité.
Sur le plan politique, le scrutin proportionnel intégral favorise la multiplication des partis, au nombre d’une quinzaine. Le Likoud, porté par la ligne ultranationaliste de Netanyahou et fort de la mobilisation de son électorat autour de la loi de juin 2018 sur l’État-nation, qui ravale les non-juifs au statut de citoyens de seconde zone, disposait à l’origine d’une large avance sur une opposition éclatée et une gauche en voie d’euthanasie.
Sur le plan international, le Premier ministre israélien, contraint en 2009 d’accepter le principe d’un État palestinien, a pleinement bénéficié de la nouvelle donne créée par les printemps arabes à partir de 2011. La calamiteuse gestion du pouvoir par les Frères musulmans en Egypte, le basculement de la Syrie et de la Libye dans la guerre civile, le surgissement de l’Etat islamique, la constitution d’un empire chiite à l’occasion de l’effondrement de l’Irak ont éclipsé la question palestinienne. La priorité donnée à la lutte contre le terrorisme islamique et à l’endiguement de l’Iran, sur fond de retrait des Etats-Unis, a fait émerger un axe inédit entre Israël, l’Arabie saoudite du prince Mohammed ben Salmane et l’Égypte du maréchal Al-Sissi.
Enfin, Benyamin Netanyahou s’est coulé dans le cycle historique du retour des hommes forts et de l’exacerbation des sentiments identitaires nationalistes et religieux. Après des relations exécrables avec Barack Obama, l’élection de Donald Trump fut une divine surprise, couronnée par la dénonciation par les États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015, puis par leur retrait partiel le 6 décembre 2017, puis par leur reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël et le transfert de l’ambassade de Tel-Aviv. Simultanément, Netanyahou a noué des relations étroites avec les nouveaux autocrates, à l’exception de Recep Tayyip Erdogan, affichant sa proximité avec Vladimir Poutine – dont il a obtenu un blanc-seing pour frapper les forces et les bases iraniennes en Syrie –, Narendra Modi, Rodrigo Duterte ou Jair Bolsonaro. En Europe, il boycotta l’Union, Federica Mogherini en tête, pour se rapprocher des tenants de la démocratie illibérale, Viktor Orban en Hongrie et Jaroslaw Kaczynski en Pologne, en dépit de leur antisémitisme assumé.
Contre toute attente, la machine de guerre nationaliste et populiste imaginée par Benyamin Netanyahou est pourtant en passe de se retourner contre lui. La réussite économique de la « start-up nation » va de pair avec le creusement des inégalités et une société à deux vitesses, qui déstabilise une partie de l’électorat du Likoud. L’opposition est devenue à la fois efficace et crédible avec l’alliance formée entre l’ancien chef d’état-major Benny Gantz, soutenu par deux de ses prédécesseurs, et le centriste Yaïr Lapid, au point d’être désormais créditée d’une avance importante sur le Likoud. Le coup de grâce a sans doute été porté par le procureur général, Avichaï Mandelbit, qui a lancé, le 28 février, une triple procédure d’inculpation contre le Premier ministre pour corruption, fraude et abus de confiance.
Les excès autocratiques et nationalistes de Netanyahou deviennent aujourd’hui non seulement un handicap électoral mais un facteur d’insécurité pour Israël. L’alliance avec l’extrême droite de Rafi Peretz, le ralliement à des positions racistes et le soutien à des dirigeants antisémites comme Orban – y compris dans ses violentes attaques contre George Soros – isolent le Likoud en Israël et le coupent de la diaspora, notamment aux États-Unis. À l’image des autres alliés des États-Unis, Israël compte désormais parmi les victimes de la stratégie erratique de Trump, avec l’annonce du retrait des troupes américaines en Syrie – qui laisse le champ libre à la Russie, mais surtout à l’Iran, au Moyen-Orient. Et ce, au moment où l’Arabie saoudite est déstabilisée par les tensions croissantes entre le roi Salmane et le prince héritier à la suite du meurtre commandité du journaliste Jamal Khashoggi, par les échecs en chaîne de la guerre au Yémen et par l’embargo contre le Qatar.
L’élection du 9 avril ne se présente plus seulement comme un référendum autour de Benyamin Netanyahou. Elle constitue aussi un test sur la capacité de la démocratie israélienne à résister à l’onde de choc populiste qui met en cause, comme dans la plupart des nations libres, le pluralisme politique, le respect de l’État de droit, l’indépendance des médias. Tout cela au nom d’un pseudo-primat de la sécurité sur la liberté et d’un choix réducteur entre la reconduction d’un autocrate qui s’autoproclame le garant de la stabilité et le chaos.
Aujourd’hui, l’alliance entre Benny Gantz et Yaïr Lapid ne menace en rien la vitalité du modèle de développement fondé sur l’innovation technologique, ni la sécurité d’Israël, dont les principes ne seront pas remis en question. Elle promet, en revanche, une plus grande attention portée à la lutte contre les inégalités, un effort d’investissement dans les infrastructures, particulièrement dans les clés de l’éducation et de la santé, une ouverture vers les Palestiniens. La véritable rupture est politique. Elle porte sur l’esprit et la méthode du gouvernement. Elle consiste à rompre avec la dérive autocratique et populiste pour renouer avec les valeurs des pères fondateurs d’Israël sur lesquelles fut construite la seule démocratie du Moyen-Orient.
(Chronique parue dans Le Point du 14 mars 2019)