Pour l’avenir du Venezuela et de ses habitants, l’espoir offert par Juan Guaido doit être saisi par la communauté internationale.
Alexis de Tocqueville soulignait que les révolutions surviennent souvent au moment où la crise s’atténue ou lorsque de mauvais gouvernements se réforment. Le Venezuela échappe à ce paradoxe. La surprise n’est pas que le peuple vénézuélien se soulève contre le pouvoir dictatorial et corrompu de Nicolas Maduro, mais qu’il ait attendu si longtemps.
Au sein des tyrannies modernes, certaines se distinguent par leur nature totalitaire et concentrationnaire, comme l’Allemagne nazie, l’URSS stalinienne ou la Chine maoïste, par leur dimension génocidaire, comme le Cambodge des Khmers rouges, par leur longévité comme le Zimbabwe de Robert Mugabe. Le Venezuela chaviste occupe une place unique par la ruine de l’économie, par l’ensauvagement de la société, par l’aliénation de la souveraineté de la nation à Cuba et à ses bailleurs de fonds, Chine et Russie.
La descente aux enfers du Venezuela défie l’entendement. Il compte parmi les pays les plus riches du monde, fort des premières réserves de pétrole devant l’Arabie saoudite (300 milliards de barils) mais aussi d’immenses gisements de gaz, d’or et de métaux rares. Or il figure aujourd’hui parmi les plus pauvres. L’activité s’est effondrée de 60 % en quatre ans. La production de pétrole a chuté de 3,2 à 1 million de barils par jour et 80 % des exportations ne génèrent aucun revenu car elles sont affectées au remboursement des prêts de la Chine et de la Russie ainsi qu’au paiement des conseillers cubains. Le rythme de l’inflation atteint 13 500 000 % ; la devise a été dévaluée de 98 % ; le salaire minimum plafonne à 3 euros par mois.
Pendant que le capitalisme mondialisé faisait sortir de pauvreté en un quart de siècle plus de 1,5 milliard d’hommes, le socialisme du XXIe siècle réduisait à la misère et à la famine les Vénézuéliens. La population vit à 90 % en dessous du seuil de pauvreté, souffrant de la faim et de l’absence des produits de première nécessité. L’éducation et le système de santé ont disparu, les hôpitaux ne disposant plus ni de médicaments ni même d’eau courante, ce qui se traduit par l’explosion de la mortalité infantile et des épidémies. La société a basculé dans l’anomie et la violence, alimentée par milices et forces paramilitaires du régime qui font régner la terreur en multipliant les assassinats d’opposants.
Le Venezuela chaviste n’a pas seulement rompu avec la démocratie, avec l’élection manipulée d’une Assemblée constituante en 2017 pour annuler la victoire de l’opposition aux législatives de 2015, puis la fraude massive qui a permis la réélection de Nicolas Maduro en mai dernier. Il a dissous toute forme d’État ou d’ordre public pour transformer le pays en une jungle où seule la violence a force de loi. Avec pour conséquence une crise humanitaire majeure qui a poussé 4 des 32 millions de Vénézuéliens à l’exil, déstabilisant toute l’Amérique latine.
En se proclamant, le 23 janvier, président intérimaire, Juan Guaido offre un espoir. Il réunit quatre conditions qui manquaient jusqu’à présent : un leadership fort adossé à la légitimité de la présidence de l’Assemblée, unique institution à avoir été régulièrement élue ; une stratégie tendue vers l’organisation d’élections libres ; le soutien massif de la population ; l’appui de la communauté internationale avec la reconnaissance du nouveau président par plus de 50 pays dont la quasi-totalité des États sud-américains.
Il ne fait aucun doute que Nicolas Maduro doit quitter le pouvoir. Le moment de sa chute et son caractère pacifique ou sanglant dépendront de la position de l’armée, qui détient la clé de la sortie de crise. Or le naufrage du Venezuela associe une tragédie intérieure et une dimension internationale, du fait de la dépendance du régime chaviste vis-à-vis de la Chine, de la Russie et de Cuba.
Le Venezuela ne pourra pas seul se défaire de la dictature chaviste ni se relever. Mais le soutien international doit obéir à une stratégie concertée. Rien ne serait pire que de s’en remettre à une forme d’intervention militaire pilotée par les États-Unis, dont le seul effet serait de ranimer le fantôme de l’appui apporté au coup d’État du général Pinochet au Chili en 1973.
En revanche, devrait être constituée une Alliance internationale pour le sauvetage du Venezuela, dont le leadership serait assuré par les pays d’Amérique latine, soutenus par les États-Unis, l’Europe, le Canada. Avec un plan d’action global. Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature, le résume parfaitement : « Un régime civil et représentatif, né d’élections libres, soutenu par la loi et contrôlé par la liberté de la presse, même corrompu et inefficace, sera toujours préférable à une dictature. »
(Chronique parue dans Le Figaro du 11 février 2019)