Six pistes pour une sortie coordonnée de la crise britannique.
Le référendum sur le Brexit a lancé la vague populiste qui submerge les démocraties. Huit ans après le krach de 2008, il a refermé le cycle de la mondialisation libérale, inauguré en 1979 par les réformes de Mme Thatcher, et ouvert l’ère de la démondialisation, placée sous le signe du repli national, du protectionnisme et de la xénophobie. Deux ans et demi après le vote du 23 juin 2016, le Brexit est dans l’impasse. Le 15 janvier, le gouvernement de Theresa May a subi devant la Chambre des communes la plus lourde défaite d’un gouvernement britannique depuis un siècle en voyant son projet d’accord de sortie de l’Union européenne rejeté par 432 voix contre 202. Le lendemain, la motion de défiance contre May était repoussée par 325 voix contre 306, la plaçant dans l’obligation de présenter dès le 21 janvier l’introuvable plan B exigé par les députés – qui se réduit à l’accord initial associé à un accord bilatéral avec l’Irlande sur la frontière. À deux mois de l’échéance du 29 mars 2019 fixée en application de l’article 50 du traité de l’Union, le Royaume-Uni bascule dans le chaos. L’activité économique et le pouvoir d’achat s’effondrent, les délocalisations d’entreprises et d’emplois s’emballent. La société est profondément divisée et la violence explose, avec pour symbole l’épidémie d’attaques au couteau dans le Grand Londres. La situation politique est dominée par le nihilisme : le Royaume-Uni ne peut ni sortir de l’Union ni y rester ; le deal est impossible, mais le non-deal est reconnu comme suicidaire ; il n’existe pas de majorité au Parlement, ni pour approuver un accord avec l’Union, dont May continue à affirmer qu’il est la raison d’être de son gouvernement, ni pour la renverser.
Le naufrage du Brexit s’explique tout entier par la démagogie dont il est le produit. Le débat référendaire a occulté les questions décisives sur les conséquences de la sortie de l’union douanière, sur la situation de l’Ecosse et plus encore sur la préservation de la paix en Irlande du Nord qui impose de ne pas rétablir une frontière qui partagerait l’île. La faible majorité de 51,9 % en faveur du Brexit est issue de l’alliance contre nature entre la partie de la population marginalisée par la mondialisation et demandeuse de plus de protection avec la frange des élites de la City souhaitant s’émanciper de toute régulation pour créer un Singapour européen. May a cultivé le déni des réalités en se révélant incapable de définir une position de négociation, puis en se voyant contrainte de multiplier les concessions dans des plans mort-nés, à l’image de celui de Chequers du 6 juillet 2018. Au fil des mois et de la descente en vrille du Royaume-Uni, l’intérêt national et le respect des institutions ont été emportés par le déchaînement des passions collectives et le primat des partis.
Le Brexit est un poison lent qui menace d’enfermer le pays dans une instabilité économique, sociale et politique chronique, qui serait catastrophique pour lui comme pour l’Europe. Il est donc indispensable d’imaginer une sortie coordonnée de la crise qui devrait s’articuler autour des principes suivants.
- Le rejet de l’accord avec l’Union impose une clarification de la position du Royaume-Uni, dont la préservation de l’unité nationale et le développement économique passent par le maintien d’une union douanière avec l’Europe.
- Par leur comportement, les dirigeants britanniques mettent aujourd’hui en danger la démocratie, dont ils ne respectent plus ni les valeurs, ni les institutions, ni le sens du pragmatisme et la capacité à nouer des compromis. Il leur faut rétablir le lien avec l’esprit de responsabilité pour placer l’intérêt supérieur de la nation au-dessus des partis.
- Le renforcement des menaces stratégiques sur l’Europe émanant des démocratures, du djihadisme, de la militarisation de l’espace et du cybermonde exige la sanctuarisation et la garantie des accords de défense et de sécurité conclus entre le Royaume-Uni et les membres de l’Union, tout particulièrement du traité de Lancaster, signé avec la France, qui constitue le seul autre pays européen à disposer d’une armée opérationnelle et d’une force nucléaire.
- La réorientation du Brexit ne peut ultimement être arrêtée que par le vote des Britanniques. Celui-ci, inéluctable, devrait prendre la forme d’élections générales plutôt que d’un nouveau référendum dont la légitimité serait douteuse et qui risquerait d’être à nouveau biaisé par la démagogie et les interférences de la Russie.
- L’extension du délai du Brexit au-delà du 29 mars, qui demande le vote unanime des 27, n’a pas de sens si elle vise à prolonger la confusion actuelle, mais devient pertinente si elle répond à une stratégie, des objectifs et un calendrier précis.
- Quelle que soit l’issue du Brexit, la refondation de l’Union s’impose pour répondre aux attentes des citoyens et désarmer les forces populistes, qui pourraient prendre le contrôle du Parlement en mai. Plus l’Europe se repensera en termes de croissance inclusive, de souveraineté, de sécurité et de démocratie, plus elle facilitera une solution positive au Brexit.
Le Brexit constitue la plus grande catastrophe politique pour le Royaume-Uni depuis le déclenchement de la guerre de 1914, qui mit fin à son leadership mondial. Il est essentiel pour les démocraties d’en tirer toutes les leçons. En temps de crise, le référendum constitue une arme fatale entre les mains des démagogues. En tant que laboratoire du populisme du XXIe siècle, le Brexit illustre les ravages qu’il inflige aux nations et aux peuples qu’il prétend servir : les promesses de « take back control » aboutissent à une impasse « out of control ». Tout comme la guerre commerciale lancée par Donald Trump, il souligne également les dangers de la démondialisation, qui bride le développement et paupérise les masses tout en affaiblissant la souveraineté et l’Etat de droit. Enfin, les Britanniques démontrent, à leur corps défendant, que les acquis communautaires ne relèvent pas du mythe mais constituent des réalités tangibles. N’attendons donc pas que les populistes détruisent l’Europe pour assumer ses réussites tout en nous mobilisant pour la réinventer autour de la sécurité et de la défense de la liberté !
(Chronique parue dans Le Point du 24 janvier 2019)