Le grand débat constitue la dernière chance d’endiguer la spirale de défiance qui frappe les dirigeants et les institutions politiques.
La sortie de la crise ouverte par les « gilets jaunes » ne peut être que politique. Elle impose de refaire la nation, fracturée entre les classes sociales, les statuts, les générations et les territoires. Le grand débat voulu par Emmanuel Macron constitue la dernière chance d’endiguer la spirale de défiance qui frappe les dirigeants et les institutions politiques. Mais sa réussite dépend de deux facteurs. Dans la forme, il doit se dérouler de manière indépendante et transparente, alors même qu’il est encadré et animé par le président de la République. Sur le fond, il doit reposer sur des faits pour ne pas alimenter la course à la démagogie.
Loin de diminuer, le pouvoir d’achat a progressé en France depuis 2000 plus vite que la croissance (1,3 %) et que les gains de productivité, qui stagnent autour de 0,7 % par an. Dès lors, les gains de pouvoir d’achat ont été principalement financés par l’endettement public, qui s’est envolé de 20 % à 100 % du PIB depuis 1980.
La population en dessous du seuil de pauvreté est en France de 13,8 %. La proportion de pauvres dans notre pays est inférieure à celle constatée dans les autres pays développés. Elle a diminué depuis 1998. Toutefois, la pauvreté a changé de visage : elle concerne peu les personnes âgées mais essentiellement les jeunes.
Les revenus des ménages sont avant tout obérés par le chômage de masse, qui touche 9,1 % de la population active. Il constitue une exception française qui contraste avec le retour au plein – emploi dans la quasi-totalité des pays développés. Il explique en grande partie l’écart de richesse par habitant de 13,6 % qui s’est creusé avec l’Allemagne en une décennie.
Les inégalités de revenus sont en France les plus faibles du monde développé à l’exception du Danemark et de la Finlande, avec un coefficient de Gini (instrument de mesure des inégalités de revenus, NDLR) réduit à 0,259 en 2017, soit un niveau stable par rapport à 1998 et en forte diminution par rapport à 1970 (0,337). Les 1 % les plus aisés disposent de 10 % des revenus de manière stable depuis les années 1950.
L’originalité de la France reste en revanche d’être le seul pays où le revenu des retraités est supérieur à celui des actifs. Par ailleurs, les inégalités de statuts sont importantes et la mobilité sociale décline, principalement en raison des difficultés d’accès et de l’hétérogénéité de la qualité des services publics.
La répartition de la valeur ajoutée entre le travail et le capital présente une grande stabilité depuis les années 1960, le travail en percevant les deux tiers. La différence majeure résulte de l’État, qui a accaparé l’essentiel des faibles gains de productivité, avec des recettes publiques atteignant 53,6 % du PIB. Depuis 2011, 60 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires ont été réalisés, qui ont pesé à 90 % sur les ménages.
La fiscalité française est la plus lourde, la plus progressive et la plus redistributive du monde développé. L’impôt sur le revenu en est exemplaire, qui n’est acquitté que par 43 % des foyers fiscaux et qui voit 2 % des ménages payer 40 % des 78 milliards d’euros qu’il rapporte. La fiscalité et l’État-providence ramènent l’écart de revenu entre les 20 % les plus aisés et les 20 % les moins favorisés de 8,4 à 3,9.
L’État mobilise 57 % du PIB et emploie 5,665 millions de fonctionnaires au 31 décembre 2017 – soit une hausse de 47 % depuis 1980 alors que la croissance de la population n’a été que de 24 %. La baisse et l’inégalité croissante de la qualité des services publics résultent de leur incapacité à se réformer et d’une extrême centralisation.
La France n’est pas une île. Il est absurde de chercher des solutions à ses maux dans un cadre purement hexagonal qui fait l’impasse sur le monde du XXIe siècle. Notre pays, quel que soit le bien-fondé de ses propositions, par exemple en matière de fiscalité des Gafa, restera non crédible pour ses partenaires de l’Union européenne tant qu’il sera soupçonné de chercher à reporter sur eux les charges d’un modèle économique et social insoutenable, associant 1 % de la population mondiale, 3 % de la production, 15 % des aides sociales de la planète et une dette publique de 100 % du PIB.
Le grand débat doit contribuer à faire émerger un nouveau pacte économique et social français pour le XXIe siècle. La condition première consiste à sortir du mensonge, à faire la vérité sur la situation de la France et à reconnaître notre responsabilité première dans ses maux. George Orwell dans 1984 rappelait que « la liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre ; quand cela est accordé, le reste suit ». Si le grand débat veut contribuer à la régénération de la démocratie en France et non à l’emballement de la démagogie, il doit être réancré dans le monde réel où deux et deux font quatre.
(Chronique parue dans Le Figaro du 21 janvier 2019)