« Shutdown » américain, manifestations contre Viktor Orban, Brexit insoluble… Le dégagisme pourrait bien se retourner contre ses promoteurs.
Depuis 2016, l’onde de choc populiste partie du Royaume-Uni et des États-Unis a gagné l’ensemble du monde démocratique. En Europe, l’extrême droite a resurgi y compris dans des pays que l’on croyait immunisés. La France est devenue le thermomètre de cette poussée populiste. L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 autour d’un projet associant modernisation de la France et refondation de l’Europe avait nourri l’espoir d’un coup d’arrêt porté au populisme. La crise des gilets jaunes montre qu’il n’en est rien, qui débouche sur une délégitimation du président et une défiance envers les institutions sans précédent depuis 1958. L’éclatement de la bulle du macronisme, l’impuissance du président jupitérien à imaginer une sortie à la crise politique et la paralysie de l’Union ouvrent un vaste espace aux populistes. Ils entendent l’exploiter pleinement lors des élections européennes. L’atmosphère lugubre de ce début d’année 2019, placé sous le signe du ralentissement de l’économie et de la remontée des risques politiques, ne doit cependant pas masquer les difficultés des populismes, qui sont rattrapés par leurs mensonges et leur irresponsabilité.
Aux États-Unis, Donald Trump est confronté avec la paralysie budgétaire à la réalité de sa défaite lors des élections de mi-mandat et à l’inconséquence de son projet de construction d’un mur à la frontière mexicaine. La guerre commerciale et technologique contre la Chine porte préjudice aux entreprises américaines. La dénonciation des engagements internationaux et le travail de sape contre les alliances stratégiques font le jeu des démocratures : ainsi, le retrait impromptu des Américains en Syrie abandonne le Moyen-Orient à la Russie, à l’Iran et à la Turquie, tout en fournissant une planche de salut à l’Etat islamique.
Au Royaume-Uni, le Brexit tourne à la chronique d’un suicide annoncé, broyant l’économie, la nation et la démocratie britanniques. En Italie, la radicalisation du discours antisystème, illustrée par le soutien apporté par Matteo Salvini et Luigi Di Maio aux gilets jaunes, cache la normalisation des relations avec l’Union, dont l’Italie dépend pour financer sa dette publique de 132 % du PIB. En Hongrie, le pouvoir autocratique de Viktor Orban affronte des manifestations de masse. En Pologne, la société civile se mobilise contre le parti Droit et justice de Jaroslaw Kaczynski, qui a par ailleurs été contraint par la Cour de justice de l’Union européenne à renoncer à la réforme visant à asseoir le contrôle du gouvernement sur la Cour suprême.
L’expérience du pouvoir pourrait donc exposer les populistes au dégagisme qui fut leur principal moteur politique. Pour autant, cela ne suffira pas à désarmer la crise de la démocratie qui plonge ses racines dans des évolutions fondamentales : la stagnation des revenus pour une majorité de la population et la montée des inégalités ; la déstabilisation des classes moyennes par la mondialisation et la révolution numérique ; la perte des repères culturels et le désarroi identitaire créé par la peur de l’immigration et de l’islam ; la montée de l’insécurité ; la délégitimation des dirigeants et des institutions politiques.
Le populisme est la face cachée de la démocratie libérale : il disparaît quand elle est en bonne santé ; il se déchaîne quand elle est malade. Il ne tire sa force que des dysfonctionnements et des faiblesses de la démocratie. Voilà pourquoi le populisme ne saurait être défait seulement par ses échecs, qui peuvent au contraire encourager la fuite en avant dans la démagogie et la violence, comme durant les années 1930. Le véritable antidote au populisme doit être trouvé dans la régénération de la démocratie libérale. Cela passe par un nouveau pacte économique et social ainsi que par une meilleure association des citoyens aux décisions publiques, sans rien céder sur le respect de l’État de droit. Sur le plan européen, cela implique une refondation de l’Union autour de la souveraineté et de la sécurité : dans une mondialisation qui se recompose autour de grands blocs régionaux et face à la remontée des risques géopolitiques, l’Europe ne doit plus seulement être pensée en termes de régulation et de marché, mais avant tout en termes de puissance.
(Chronique parue dans Le Point du 17 janvier 2019)