Le modèle vanté par les écologistes creuserait les inégalités et ouvrirait un boulevard aux dictatures.
Au moment où se tient à Katowice la COP 24, les émissions de carbone devraient croître de 2,7 %, après 1,6 % en 2017, ce qui implique une hausse de la température de la planète de 3,5 à 4 °C à l’horizon de 2100. Aussi l’écologie, prédisant l’apocalypse, promeut la décroissance comme solution. Dans la lignée de Malthus, qui affirmait que la croissance de la population et de la production était insoutenable – ce qui n’a cessé d’être démenti –, les partisans de la décroissance la justifient par cinq arguments : l’impossibilité d’assurer des conditions de vie décentes à 11,2 milliards d’hommes au début du siècle prochain ; la multiplication des chocs et des crises économiques ; la robotisation, qui implique la fin du travail ; l’accroissement des inégalités sociales ; la menace écologique que fait peser sur la survie de l’humanité la poursuite du développement.
En réalité, dirigeants et citoyens ont raison de rejeter la décroissance, qui constitue le meilleur moyen de discréditer l’indispensable transition écologique. En outre, ce modèle implique des sacrifices tels pour les individus que ses thuriféraires admettent qu’il ne pourrait être appliqué que par des régimes autoritaires. S’il faut effectivement choisir entre la liberté et l’environnement, mobilisons-nous pour la démocratie ! L’explosion démographique n’est ni universelle ni indéfinie : l’augmentation de la population sera concentrée pour l’essentiel en Afrique et se retournera dès le début du siècle prochain. Ce n’est pas la production, mais la pollution qu’elle génère qui menace l’environnement, ce qui appelle non pas la diminution de l’activité, mais sa transformation. Or la révolution numérique permet une croissance plus qualitative et moins intensive en ressources matérielles. Le développement porté par la mondialisation a fait sortir de la grande pauvreté près de 2 milliards d’hommes et réduit de 40 % l’écart entre Nord et Sud – où l’espérance de vie a progressé de vingt ans.
La France constitue un cas d’école des dangers de la décroissance. La croissance potentielle n’a cessé de se réduire depuis les années 1970 pour s’établir au-dessous de 1 %. Résultat : les revenus stagnent depuis vingt ans (la médiane restant à 1 700 euros par mois), le chômage touche 10 % de la population active. La pauvreté a progressé et les classes moyennes se sont désintégrées en dépit de transferts sociaux qui culminent à 34 % du PIB. Tout cela débouche sur une crise majeure de la démocratie qu’illustre la jacquerie des gilets jaunes.
Heureusement, il reste possible de concilier croissance et bienêtre, préservation de la planète et liberté. L’objectif consiste à basculer de la croissance quantitative vers la croissance qualitative, des ressources épuisables vers les ressources renouvelables. L’Europe du Nord montre qu’il n’est nullement inatteignable. L’activité n’a aucune raison de végéter au XXIe siècle tant ses moteurs sont nombreux : l’économie de la connaissance ; le rattrapage du Sud et les nouvelles classes moyennes des pays émergents ; la montée du rôle des seniors ; la transition écologique. S’en remettre à la seule technologie serait une dangereuse illusion, mais négliger les modifications fondamentales qu’elle peut apporter n’est pas plus fondé. Paul Romer, récent Prix Nobel d’économie, rappelle que la connaissance est abondante, infinie et peut permettre d’économiser les ressources naturelles au lieu de les détruire.
Le capital humain est donc le meilleur allié de l’écologie. Et le seul antidote efficace à la dynamique de fragmentation et de polarisation de l’économie et de la société reste la croissance inclusive, qui consiste en une transformation de la qualité, du rythme et de la répartition des richesses produites. Dans la société industrielle, l’intégration s’effectuait par les revenus et la redistribution de l’État providence. Dans la société de la connaissance, c’est la lutte contre les inégalités par l’accès à l’éducation et à la santé, la capacité à générer des emplois qualifiés, la lutte contre les discriminations, la qualité du cadre de vie.
La croissance n’est pas une relique barbare héritée de la révolution industrielle et condamnée à disparaître. Elle demeure la condition du bien-être, du progrès social et de la liberté. Refusons donc la décroissance et imaginons un pacte économique et social qui réaligne capital humain, capital économique, capital culturel et capital naturel.
(Chronique parue dans Le Point du 13 décembre 2018)