Quelles que soient les responsabilités du président dans la crise, seul le peuple pourra sortir la France du chaos en revenant à la sagesse et à un esprit de compromis.
La jacquerie numérique des « gilets jaunes » débouche sur des violences et une crise politique inédites depuis 1968. En dépit de l’inquiétude qui monte à propos de l’extension des désordres, la France compte 67 millions de « gilets jaunes ». Et Emmanuel Macron, cible première des émeutiers, porte l’entière responsabilité de cette explosion. Il a assommé les Français de normes, de prélèvements et de taxes. Il a amplifié l’affaiblissement de l’État régalien. Il a cédé à la démesure en mettant en place un pouvoir autoritaire, technocratique et arrogant qui a multiplié les abus et affiché son mépris envers les citoyens, les élus, les savants et les médias.
Pour s’être pris pour Jupiter, Emmanuel Macron se trouve réduit au rôle d’Icare. À force d’erreurs et de provocations, il s’est coupé les ailes. Après l’échec patent de la refondation de l’Europe et de la tentative d’amadouer Donald Trump, c’est son projet de transformation de la France qui est réduit en miettes. Comme le septennat de Jacques Chirac, son quinquennat est potentiellement mort-né, tué par les héritiers d’Alain Juppé qui, après l’identité heureuse, ont entendu expérimenter sur un pays exsangue la taxe heureuse.
Les conséquences de la crise politique sont cependant bien plus lourdes qu’en 1995. Emmanuel Macron constituait la dernière chance de réformer la France de manière pacifique et démocratique. En poussant les Français à la révolte, il ne les a pas mobilisés autour de l’utopie d’une autre société comme le général de Gaulle en Mai 1968, mais autour de la chimère de la conservation du modèle hérité des Trente Glorieuses. Avec un mot d’ordre : tout casser pour que rien ne change. Le nouveau coup porté à l’attractivité de la France pourrait se révéler fatal, alors même que l’image du pays s’était redressée et que le Brexit offrait une extraordinaire occasion de sortir Paris de son déclin. Enfin, Emmanuel Macron a créé avec les « gilets jaunes » les conditions de la fusion sociologique et politique de l’extrême gauche et de l’extrême droite qui pourrait faire basculer la France, en 2022, dans une situation à l’italienne.
Ce n’est donc pas seulement le quinquennat d’Emmanuel Macron mais la France qui se trouve à un tournant de son histoire. Le choix est clair. Soit Emmanuel Macron, totalement isolé en France comme en Europe, rejoint François Hollande dans la liste des présidents zombies et se réduit à une nouvelle occasion manquée par la France d’entrer dans le XXIe siècle, la solidité de la Ve République lui permettant simplement de se maintenir en fonction tout en ayant perdu toute capacité d’action. Soit une refondation radicale de sa présidence et de son projet permet de faire émerger un nouveau pacte économique, social et politique.
Dans ce moment décisif, Emmanuel Macron n’a plus son destin entre ses mains. Il n’est pas besoin de le tuer car il l’a fait lui-même. Il a cassé tout lien avec la nation, avec la société, avec les citoyens. La pyramide inversée qu’il avait construite avec un gouvernement, une majorité et un parti immenses et vides s’est écroulée pour devenir son mausolée. Seuls les Français peuvent donc aujourd’hui le sauver en lui redonnant une assise politique.
En 1936, face à la montée des totalitarismes et des risques de guerre, Élie Halévy en appelait à la responsabilité des citoyens dans les termes suivants : « La responsabilité des maux qui tourmentent l’humanité doit être transférée des hommes d’État au commun peuple, c’est-à-dire nous-mêmes. La sagesse ou la folie de nos hommes d’État est purement et simplement le reflet de notre propre sagesse et de notre propre folie. À nous de substituer un esprit de compromis à un esprit de fanatisme. »
Le dernier homme d’État qui aurait été à la mesure de la crise que traverse notre pays était Philippe Séguin ; il a été liquidé par le système politique avant de disparaître, victime de ses démons intérieurs, sans avoir rencontré les circonstances qui l’auraient placé en situation de gouverner. Tout dépend donc de nous. Voulons-nous le chaos ou la paix civile ? Voulons-nous refaire la nation ou acter son éclatement en communautés et en individus atomisés voués à s’affronter de plus en plus violemment ? Voulons-nous encore produire et innover pour générer du bien-être et de la solidarité ou nous déchirer pour répartir les pertes de la décroissance ? Voulons-nous préserver la liberté politique ou sommes-nous prêts à remettre nos vies entre les mains d’autocrates ou d’idéologues qui utiliseront les moyens démesurés dont dispose l’État en France pour nous réduire à l’état d’esclaves consentants ?
Pour Emmanuel Macron, il ne s’agit certainement pas de maintenir le cap mais de tout changer : se recentrer sur sa mission première de moderniser la France au lieu de déployer un activisme égotique et stérile en Europe et dans le monde ; rééquilibrer la politique économique en direction d’une croissance inclusive ; restaurer l’État régalien ; renouveler les hommes en ouvrant ses équipes à l’expérience, à la politique, à la connaissance et à la diversité ; en finir avec les abus de pouvoir et les écarts de langage permanents.
Pour les Français, il s’agit de ne pas céder à la tentation du manichéisme et de la violence. Il existe des acquis du quinquennat en matière de réforme de l’éducation, du travail, de la formation, de la fiscalité du capital et des entreprises qui méritent d’être préservés. Le retour du principe de responsabilité à la tête de l’État s’applique également aux citoyens qui doivent admettre que l’impératif de la baisse des impôts passe par la diminution des dépenses publiques.
Emmanuel Macron s’est rendu odieux en claironnant « la France, c’est moi ». En réalité, la France c’est nous. Il est de notre responsabilité de ne pas la laisser basculer dans une violence nihiliste. Au moment où la démocratie affronte une crise sans précédent depuis les années 1930, notre pays ne peut se passer d’un chef d’État au plein sens du terme. Emmanuel Macron doit être placé sous haute surveillance mais non pas réduit à l’impuissance.
(Chronique parue dans Le Figaro du 10 décembre 2018)