En restituant des dizaines de milliers d’œuvres d’art à l’Afrique, on briserait le rêve du musée universel où dialoguent les cultures.
« Le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête », soulignait Pascal. Ce syndrome touche aujourd’hui les musées français dont les collections sont menacées d’être dispersées par le président de la République en violation du principe d’inaliénabilité qui a permis leur constitution depuis le XVIe siècle. Et ce au nom d’un anticolonialisme dévoyé.
Emmanuel Macron a annoncé à Ouagadougou en novembre 2017 la restitution d’ici cinq ans « du patrimoine africain en Afrique »et décidé d’offrir au Bénin 26 œuvres majeures du palais du roi Béhanzin qui appartiennent aux collections du musée du Quai-Branly. Afin de justifier cette opération, il a commandé à Bénédicte Savoy et à Felwine Sarr un rapport qui conclut à la restitution immédiate, irrévocable et sans conditions de quelque 90 000 objets d’Afrique subsaharienne présents dans les musées français, tout en dénonçant la conception française du musée universel et en appelant à le « décoloniser ». Ne pourraient être conservées que les œuvres ayant fait l’objet d’une « transaction documentée et équitable ». En conséquence, les deux auteurs somment la France de modifier la loi du 4 janvier 2002 qui a réaffirmé l’inaliénabilité des collections publiques pour en exclure l’Afrique.
Le président du Bénin, Patrice Talon, qui a entrepris de transformer son pays en démocrature en supprimant les garanties de l’Etat de droit et en mettant l’économie en coupe réglée, n’a pas manqué de se saisir de cette annonce pour se relégitimer. Simultanément, le Sénégal, en pleine campagne présidentielle, a demandé le retour immédiat de la totalité des œuvres d’origine sénégalaise présentes dans les musées français.
Quel sera le destin de ce rapport ? La restitution d’œuvres d’art selon le bon plaisir du président de la République constituerait une régression inouïe qui réduirait les collections de nos musées à la cassette personnelle d’Emmanuel Macron, dans laquelle il puiserait librement. Après avoir provoqué une jacquerie en prélevant plus de 1 000 milliards d’impôts et de taxes sur des citoyens et des entreprises exsangues, le président prétend-il distribuer le patrimoine de la nation ? Le Trafalgar des musées français aurait des conséquences très graves pour notre pays. Conséquences pour les musées, qui perdront, en même temps que leurs collections (le musée du Quai-Branly serait privé de 46 000 pièces sur les 70 000 qu’il expose), leurs visiteurs et leurs mécènes. Conséquences pour nos musées encore avec la porte ouverte, par les restitutions, à de futures cessions pour renflouer les caisses d’un Etat en faillite. Conséquences pour la création quand on sait le rôle décisif joué par l’art africain dans la peinture et la sculpture du XXe siècle. Conséquences sur la place de Paris comme marché de l’art, car la remise en question des collections publiques implique celle des collections privées. Conséquence pour la France et sa position de première destination touristique du monde.
Surtout, la dénonciation du musée universel est inspirée par une idéologie communautariste qui nie l’idée d’humanité. Les auteurs du rapport soulignent que « le problème commence quand un musée cesse d’être un musée national pour devenir le musée de l’autre ». Ce nationalisme muséal, qui postule que l’enfer, c’est l’autre, n’est qu’une forme de racisme. Et la dénonciation du musée universel est absurde au moment où les pays émergents rivalisent pour se doter de ce type d’institutions, dont le Louvre d’Abou Dhabi est le symbole. Enfin, un risque majeur apparaît pour la conservation des œuvres : la disparition des 144 objets envoyés par le musée belge de Tervueren à Kinshasa, en 1975, comme le saccage du musée de Bagdad incitent d’autant plus à la prudence que l’Afrique, à l’image du Sahel, est l’un des axes privilégiés d’expansion du djihadisme.
Pour toutes ces raisons, il est vital de s’opposer à la remise en question de l’inaliénabilité des collections de nos musées. Mais cela n’implique en rien qu’il soit impossible de déployer une stratégie muséale ambitieuse, particulièrement en direction de l’Afrique. Le problème de l’Afrique n’est pas que les œuvres d’art soient toutes parties, mais qu’elle compte très peu de grands musées et que la conservation de son patrimoine est gravement menacée. Le Bénin en est exemplaire, où l’urgence n’est pas de transférer des chefs-d’œuvre qu’aucune institution publique ne peut accueillir, mais d’assurer la préservation d’Abomey, capitale du royaume du Dahomey inscrite au …
Patrimoine mondial de l’humanité, qui est en passe de disparaître dans l’indifférence générale. La priorité doit donc aller à la création de musées modernes et à la formation de professionnels, en mobilisant les artistes et les nouvelles élites économiques africaines.
À l’âge de l’Histoire universelle, le principe ne doit pas être la restitution mais l’accès aux œuvres et leur circulation grâce aux grandes expositions. André Malraux rappelait que « le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l’homme ». Le musée établit en effet un dialogue irremplaçable entre les cultures et les civilisations, dialogue qui n’a jamais été aussi important au moment où la violence et les passions nationalistes et religieuses s’intensifient. La France est aussi grande parce que ses musées parlent de tous les hommes et à tous les hommes. Malraux, reviens, ils sont devenus fous !
(Chronique parue dans Le Point du 06 décembre 2018)