Le sommet acte sur le plan mondial la confrontation ouverte des grandes puissances face aux risques qui s’accumulent.
Dix ans après sa création, le G20 qui représente les deux tiers de la population mondiale, 85 % du PIB et 75 % du commerce, s’est réuni à Buenos Aires dans un contexte de dégradation accélérée de l’économie et de la géopolitique mondiales. La situation de l’Argentine, qui organisait le premier sommet du G20 en Amérique latine, est symbolique du moment critique que connaît le système international. La stratégie de réformes engagée par Mauricio Macri pour guérir son pays du populisme délétère de Nestor puis Cristina Kirchner a été télescopée par le retournement de l’activité et surtout les mouvements erratiques du prix du pétrole et du dollar. L’Argentine cumule désormais la récession avec un recul de 2,6 % du PIB en 2018 et 1,6 % du PIB en 2019, une inflation qui a bondi de 25 à 45 % en un an, la dépréciation de plus des deux tiers du peso, un chômage qui touche 10 % des actifs, l’explosion de la pauvreté qui affecte le tiers de la population. Du fait d’une dette qui dépasse 300 milliards de dollars et de la fuite des capitaux, elle a dû faire appel au FMI qui lui a accordé en juin dernier un prêt record de 56,3 milliards de dollars sur trois ans en contrepartie d’un plan d’austérité drastique. Très impopulaire, le président Macri aborde en position de grande faiblesse les élections générales de 2019.
Au-delà de l’Argentine, c’est toute l’Amérique latine qui se trouve divisée par le clivage entre réforme démocratique et populisme. Après la décennie perdue des années 1990, le sous-continent avait débuté le XXIe siècle sous le signe du progrès de la démocratie, de l’État de droit et de la paix civile. Les chocs venus des États-Unis – montée du dollar, des taux, du pétrole et du protectionnisme au plan économique, tournant nationaliste et xénophobe au plan politique ont renversé la donne. Ils ont déchaîné le populisme, alimenté par le blocage du développement, les inégalités, la paupérisation de la classe moyenne et plus encore l’emballement de la corruption et de la violence (le Brésil et le Mexique ont enregistré respectivement 62 000 et 17 000 homicides en 2017).
Le sous-continent apparaît désormais fracturé en trois blocs. Les dictatures marxistes comme Cuba, le Nicaragua ou le Venezuela chaviste qui a mis en faillite l’un des pays les plus riches de la planète et contraint à l’exil plus de 4 millions de ses citoyens, provoquant une crise humanitaire sur l’ensemble du continent. Les démocraties respectueuses de l’État de droit et engagées dans des programmes modernisateurs à l’image de l’Argentine, du Chili ou de la Colombie. Et les nations qui basculent dans le modèle populiste et cherchent à constituer un axe avec les États-Unis de Donald Trump, à l’image du Brésil de Jair Bolsonaro ou probablement du Mexique d’Andrés Manuel Lopez Obrador, qui a été investi le 1er décembre.
Le G20 de Buenos Aires acte de même au plan mondial la confrontation ouverte des grandes puissances face aux risques qui s’accumulent. Risques économiques avec le retournement du cycle de croissance amplifié par la guerre commerciale, technologique et monétaire lancée par les États-Unis. Risques financiers avec le surendettement des États que le ralentissement de l’activité rend insoutenable, à l’image des émergents ayant emprunté en dollar ou de l’Italie qui relance la possibilité d’une crise de l’euro. Risques environnementaux et climatiques aggravés par la déshérence de l’accord de Paris de 2015, soulignée par le refus du Brésil d’accueillir la COP25 en 2019. Risques géopolitiques avec l’affrontement entre Washington et Pékin autour de Taïwan, de la Corée du Nord ou de la mer de Chine, ainsi que la nouvelle guerre froide entre Washington et Moscou, dont le dernier avatar est à chercher dans l’incident naval avec l’Ukraine qui s’inscrit dans l’ambition affichée par la Russie d’annexer la mer d’Azov.
Le XXIe siècle reste ainsi placé sous le signe de la mondialisation mais celle-ci s’est inversée, passant de la convergence à la divergence. Jorge Luis Borges rappelait dans La Quête d’Averroès, que « pour s’affranchir d’une erreur, il est bon de l’avoir professée ». Le krach du capitalisme universel en 2008, les dérives de la révolution numérique, le retard pris dans la transition écologique, la montée des tensions géopolitiques ont pour origine commune le refus des États de mettre en place des institutions et des régulations coordonnées sinon communes. Le démantèlement et la paralysie du système multilatéral augmentent considérablement le nombre et l’intensité des risques tout en limitant fortement la capacité de les maîtriser. Il est grand temps de s’affranchir des innombrables erreurs professées par les démocraties placées sous le feu croisé des démocratures et des populistes pour rendre l’espoir à leurs citoyens et stabiliser l’histoire universelle.
(Chronique parue dans Le Figaro du 03 décembre 2018)