L’insécurité joue un rôle déterminant dans la victoire des extrémistes, comme celle du Brésilien Jair Bolsonaro.
Bill Clinton avait résumé sa victoire inattendue en 1992 sur George Bush en ces termes : « It’s the economy, stupid ! » Aujourd’hui, la cause de la poussée populiste est tout aussi simple : it’s the security, stupid ! C’est bien la sécurité qui joue un rôle déterminant dans la crise démocratique et la victoire des extrémistes, à l’image du Brésil, où l’élection de Jair Bolsonaro par 55 % des voix s’explique d’abord par une violence endémique marquée par 62 000 homicides par an.
Loin d’être la manifestation du nationalisme, la sécurité est la première des libertés. La démocratie commence avec l’instauration de la paix civile et d’un État de droit. Aujourd’hui, elle est menacée par le retour en force de la violence qui gagne en intensité et se radicalise.
Les menaces stratégiques renaissent avec la politique de puissance des démocratures qui désignent les démocraties comme leur ennemi. Mais la violence prolifère également à l’intérieur des démocraties. La délinquance explose et s’hybride avec le terrorisme islamiste. L’antisémitisme connaît un spectaculaire renouveau, la tuerie dans une synagogue de Pittsburgh en est une tragique illustration. Les agressions au couteau se multiplient au Royaume-Uni. En France, Gérard Collomb a mis en garde contre un risque de guerre civile lors de son départ du ministère de l’Intérieur : « Les Français vivent côte à côte ; je crains que demain ils ne vivent face à face. » Le pays compte 250 victimes du terrorisme depuis janvier 2015. Il a enregistré 825 victimes d’homicide hors attentats en 2017, en hausse de 2 %, après 11 % en 2016. Dans les services publics s’est installée une culture du déni face aux agressions violentes qui se multiplient dans les écoles ou les hôpitaux.
La France se distingue également par la situation critique de ses forces de sécurité et de l’État de droit. Les forces de l’ordre sont à la fois épuisées, sous-équipées et en proie à un profond malaise. La justice est encore plus mal lotie. Le foisonnement des lois de circonstance a dénaturé l’État de droit. Le régime d’exception de l’état d’urgence a été incorporé au droit commun, la police administrative – en principe préventive – devenant de plus en plus répressive et la justice pénale – en principe répressive – devenant de plus en plus préventive. Sans aucun résultat.
L’élection brésilienne constitue un ultime avertissement. Il est grand temps pour Emmanuel Macron de sortir du déni pour combattre l’insécurité et ses causes. Et ce sans sacrifier l’État de droit. Le retour à l’ordre public n’a rien d’impossible comme le montrent certains États américains ou de grandes métropoles occidentales. Mais il suppose des changements radicaux.
La condition première consiste à ériger la sécurité en priorité nationale. L’État régalien ne peut continuer à être cannibalisé par l’État providence (34 % du PIB), ce qui encourage à investir 1 % du PIB dans la sécurité intérieure et 2 % du PIB dans la défense. Mais la mobilisation de moyens supplémentaires sera inefficace si elle n’est pas accompagnée d’une réorganisation profonde du ministère de l’Intérieur. Elle a pour pivot la création d’un centre de commandement opérationnel pour la sécurité intérieure afin de faire enfin entrer l’anticipation, la planification, la prévention et la coordination Place Beauvau.
Par ailleurs, il n’est de sécurité que globale. Aussi convient-il de mieux articuler sécurités intérieure et extérieure, ainsi que police et justice. De même, la sécurité de notre pays est plus que jamais indissociable de celle de l’Europe, au moment où la garantie de sécurité offerte par les États-Unis est très fragilisée et réduite au mieux à la défense du continent face à la Russie. Le projet de l’Union d’un fonds doté de 13 milliards d’euros est positif mais ne comble pas le vide de volonté politique et de capacité opérationnelles, principalement dû aux atermoiements allemands.
Le rétablissement de la sécurité constitue le meilleur antidote aux populismes. Frédéric Bastiat rappelait qu’« il ne faut attendre de l’État que deux choses : la liberté et la sécurité ». En France, l’État doit revenir à sa mission première : assurer la sécurité pour défendre la liberté.
(Chronique parue dans Le Point du 1er novembre 2018)