Les élections européennes de mai 2019 n’ont pas de précédent par leur enjeu, puisqu’elles pourraient déboucher sur la désintégration de l’Union.
Cent ans après la fin de la Grande Guerre, l’Union européenne affronte une crise existentielle. Le principe de l’intégration européenne est remis en question par la destruction de l’ordre international de 1945. L’élection de Donald Trump annihile la réassurance économique et stratégique du continent par les États-Unis, tandis que le Brexit le coupe du Royaume-Uni. La coalition antisystème au pouvoir en Italie risque de relancer la crise de l’euro.
D’un côté, les mouvements populistes exacerbent les passions nationalistes et la détestation de l’Union. De l’autre, le modèle de la démocratie illibérale promu par Viktor Orban ne cesse de gagner en influence, y compris dans l’ouest du continent, en posant les régimes autocratiques en alternative à l’État de droit.
Les élections européennes de mai 2019 n’ont ainsi pas de précédent par leur enjeu, puisqu’elles pourraient déboucher sur la désintégration de l’Union en cas de majorité des partis populistes au Parlement, comme par la dynamique politique qui les sous-tend. Pour les Vingt-Sept, elles se présentent comme un référendum sur l’Union autour de la question de l’immigration. Pour la France, elles se présentent comme un référendum sur Emmanuel Macron, qui a lié son destin et son projet à la refondation de l’Europe lors de l’élection présidentielle de 2017.
Or, ce scrutin décisif s’engage sur la base d’une opposition à la fois artificielle et suicidaire entre progressistes et nationalistes. La notion de progressiste renvoie aux compagnons de route de l’URSS stalinienne dans les années 1950, qui n’offrent ni un modèle de lucidité politique, ni un remède à la crise de la démocratie, ni une solution aux dysfonctionnements actuels de l’Union. A contrario, il ne fait guère de doute que les électeurs entendront sous le nationalisme la défense des nations, de leur identité et de leurs frontières, soit précisément la réponse à leurs attentes. Forcer les citoyens à choisir entre l’Europe et les nations, c’est dresser l’acte de décès de l’Union. La démarche s’inscrit dans la litanie des manœuvres cherchant à instrumentaliser l’Europe à des fins de politique intérieure qui se sont systématiquement retournées contre leurs promoteurs. L’objectif consiste à diviser et affaiblir ce qui reste de droite de gouvernement en France. Le résultat sera de renforcer la vague populiste en Europe tout en soulignant l’isolement d’Emmanuel Macron dans notre pays comme en Europe.
Vouloir rejouer la présidentielle de 2017, c’est se tromper à la fois de scrutin et d’époque. Un an après le discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 qui entendait fixer le cadre de la refondation de l’Europe, la situation est radicalement différente. Emmanuel Macron a perdu de son aura en renonçant à transformer le modèle économique et social français. Sa principale alliée, Angela Merkel, est réduite au statut de chancelière zombie qui ne maîtrise plus ni son gouvernement ni son parti. Les projets de reconfiguration de la zone euro mobilisent contre eux un front uni de l’Allemagne et de l’Europe du Nord. La création foisonnante de nouvelles taxes sur les transactions financières, l’environnement ou le numérique est (heureusement) bloquée par le Luxembourg et l’Irlande. La confusion entretenue autour de la gestion des migrants fait le jeu des gouvernements populistes, de l’Italie à la Hongrie.
Surtout, l’environnement s’est durci tant sur le plan économique, avec le retournement de l’activité et la généralisation de la guerre commerciale, technologique et monétaire lancée par Donald Trump, que sur le plan stratégique, avec la montée des risques de conflits majeurs notamment en Asie et au Moyen-Orient.
Les Vingt-Sept sont certes restés unis dans les négociations du Brexit. Des sanctions ont été tardivement décidées contre les violations répétées de l’État de droit en Pologne et en Hongrie. Mais l’Union reste divisée et impuissante tant face à l’affrontement entre les États-Unis et la Chine dont elle devient la variable d’ajustement que face à la crise des migrants. Or sa gestion constitue une priorité absolue car elle est devenue le symbole de la paralysie et des échecs de l’Union pour une majorité de ses citoyens.
Il ne faut pas condamner moralement les populistes ; il faut lutter politiquement contre les causes du populisme. Il ne faut pas diviser les partisans de l’Europe en l’opposant aux nations mais rassembler les citoyens autour de leur protection contre les risques du XXIe siècle, de la souveraineté et de la sécurité articulées au plan des États et de l’Union. À défaut, ce n’est pas Emmanuel Macron qui refermera la parenthèse populiste en refondant l’Europe mais les populistes qui enterreront le macronisme avec l’Union.
(Chronique européenne publiée simultanément par sept quotidiens européens membres de Leading European Newspaper Alliance (LENA), le 1er octobre 2018 : Le Figaro, Die Welt, El Pais, La Repubblica, Le Soir, Tages-Anzeiger, La Tribune de Genève)