La réforme devrait améliorer la qualité de l’offre de soins, désengorger l’hôpital et répondre au malaise des soignants.
Le plan santé, dévoilé le 18 septembre par Emmanuel Macron, constitue une excellente surprise par son ambition et par le fait qu’il entend restructurer l’offre de soins en surmontant l’opposition entre secteurs public et privé, entre hôpital et médecine de ville. Il rompt avec les précédentes réformes, qui obéissaient à une logique malthusienne de contrôle de l’activité.
Il était plus que temps. Longtemps considéré comme l’un des meilleurs du monde, le système de santé français décroche. La qualité des soins se dégrade et devient de plus en plus hétérogène. Les inégalités se creusent avec la multiplication des déserts médicaux. La prévention reste embryonnaire, ne mobilisant que 1,9 % des dépenses, contre 3 % dans l’Union européenne. La démotivation et la détresse se généralisent au sein des professions de santé, jusqu’à tourner à la crise ouverte dans les hôpitaux et les Ehpad. Le retard se creuse en matière d’innovation et de recherche, où l’on assiste à une fuite massive des talents et des investissements vers les Etats-Unis dans les domaines clés de la biomédecine et de la santé numérique.
Dans le même temps, le système de santé pèse négativement sur la compétitivité de l’économie par ses coûts et son inefficacité. Il mobilise 11,7 % du PIB, soit 195,2 milliards d’euros, dont un quart est considéré comme des dépenses non pertinentes. Les déficits récurrents de l’assurance-maladie ont généré une dette de 165 milliards d’euros depuis 2000, quand l’Allemagne a dégagé près de 40 milliards d’excédents. Le cœur des difficultés se situe dans les hôpitaux publics, dont le déficit structurel de plus de 1 milliard d’euros par an a conduit à l’accumulation de plus de 30 milliards de dettes. Du fait du recul de ses performances et de sa situation financière insoutenable, notre système de santé se révèle incapable de relever les défis qui se présentent devant lui : vieillissement démographique et montée de la dépendance ; révolution technologique au croisement de la gestion des données, de la biologie, des nanotechnologies et de la robotisation ; hausse des coûts liés à l’innovation.
Le plan santé marque un incontestable tournant en se proposant de casser cette spirale négative. Il se fixe pour objectifs d’améliorer la qualité de l’offre de soins, de désengorger l’hôpital (21 millions de passages aux urgences en 2017, contre 7 millions en 1990) en le réarticulant avec la médecine de ville, enfin de répondre au grand malaise des soignants. La batterie de 54 mesures s’organise autour de cinq axes prioritaires. La réorganisation des hôpitaux sur le territoire selon trois niveaux : de 500 à 600 établissements de proximité ouverts aux médecins de ville ; les hôpitaux spécialisés ; les CHU hautement spécialisés. L’institution de quelque 1 000 communautés professionnelles de santé prenant en charge entre 20 000 et 100 000 patients – y compris pour les urgences – grâce à la coordination des soignants et au soutien de 4 000 assistants médicaux ayant pour mission de les décharger des tâches administratives. La création de 400 postes de médecins salariés dans les déserts médicaux. La réforme des études de médecine avec la fin du numerus clausus en première année et la refonte de l’internat. Le desserrement de la contrainte financière à travers le relèvement de l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie de 2,3 à 2,5 %, soit une hausse de 3,4 milliards d’ici à la fin du quinquennat – dont 300 millions d’euros par an pour soutenir la qualité des soins.
La réussite du plan dépendra de son exécution, domaine dans lequel les pouvoirs publics français font habituellement preuve d’une redoutable légèreté. Il doit être complété par des initiatives en matière d’information et de transparence sur la qualité des soins, d’accès aux données de santé – y compris pour les assureurs – et de développement de la prévention. Il a vocation à être accompagné par une évolution de la tarification des soins en fonction de leur qualité et non pas du volume d’activité.
L’enjeu majeur demeure cependant la remise en cohérence de la politique de santé, qui reste enfermée dans des contradictions insolubles. L’allègement de la contrainte financière apparaît très relatif puisque la hausse de l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (2,5 %) sera nettement inférieure à celle de la croissance en valeur (3,8 %). En réalité, il ne peut y avoir de modernisation du système de santé compatible avec le rééquilibrage des comptes publics sans une responsabilisation des patients comme des producteurs de soins. La santé est écartelée entre la reconstitution indispensable d’une offre accessible et de qualité, ainsi que la création d’une filière compétitive pour les citoyens comme pour l’exportation, d’une part, et le principe démagogique du « reste à charge zéro », d’autre part. Entre la gratuité de tout pour tous – synonyme de santé à bas coût – et les soins de qualité pour tous, il faut choisir !
(Chronique parue dans Le Point du 27 septembre 2018)