L’élection présidentielle d’octobre pourrait voir s’affronter les candidats de l’extrême.
Le Musée national de Rio, qui fut la résidence de la famille impériale et constituait la mémoire du Brésil, a été ravagé le 2 septembre par un incendie qui a détruit les plus riches collections d’histoire naturelle et d’ethnographie d’Amérique latine. Ses ruines calcinées symbolisent l’état de la démocratie brésilienne, dévorée par les flammes du populisme. L’élection présidentielle des 7 et 28 octobre se présente ainsi sous un jour tragique, placée sous le signe de la radicalisation et de la violence.
L’engrenage des scandales liés à une corruption endémique – objet des enquêtes judiciaires dites Lava Jato – et la marginalisation des candidats modérés débouchent sur un face-à-face sans précédent. A l’extrême gauche, Fernando Haddad, ancien maire de São Paulo, a la lourde tâche de suppléer Lula, condamné à douze ans de prison pour corruption et blanchiment d’argent et déclaré inéligible le 1er septembre ; il défend une ligne idéologique dure proche de celle de Dilma Rousseff. A l’extrême droite, Jair Bolsonaro, ancien capitaine parachutiste nostalgique de la dictature militaire, caracole en tête des sondages avec 24 % des intentions de vote mais lutte contre la mort après avoir été poignardé le 6 septembre.
Le chaos politique du Brésil ne doit rien au hasard tant le pays réunit tous les facteurs qui nourrissent le populisme : la pire crise économique de l’Histoire, avec une chute du PIB de 7,2 % entre fin 2014 et début 2017 : la croissance plafonne ainsi à 1,4 % en moyenne depuis 2010, provoquant un chômage de masse qui touche 12,3 % de la population active, soit 13,6 millions de personnes ; la désintégration de la classe moyenne, qui entraîne la rechute dans la pauvreté de plus de 20 millions de Brésiliens ; l’explosion de la violence, qui mine la société avec plus de 60 000 meurtres par an ; la révolte du peuple contre les dirigeants en raison de leur corruption, dont les scandales Petrobras et Odebrecht ont dévoilé l’ampleur ; la paralysie des institutions, enfin, avec la destitution de Dilma Rousseff le 31 août 2016, puis l’incapacité de Michel Temer (lui aussi accusé de corruption et d’obstruction à la justice) de réaliser les réformes indispensables, à commencer par celle du système des retraites.
L’élection présidentielle est ainsi sortie de tout contrôle. Elle n’obéit plus qu’à une logique de dénonciation de la classe dirigeante et de course à la démagogie qui interdit tout débat sur les défis stratégiques que doit relever le Brésil. Quel que soit le vainqueur, il paraît très peu probable qu’il puisse réussir à sortir le pays de la crise, voire qu’il parvienne à préserver le caractère démocratique des institutions.
Le Brésil connaît certes une fragile reprise avec une croissance de 1 % en 2017 et de 1,4 % en 2018, portée par le redressement des prix du pétrole et des matières premières. Mais il cumule des problèmes structurels qui tendent à devenir insolubles. Tout d’abord, il montre tous les symptômes annonciateurs d’une crise financière avec un déficit budgétaire de 7,4 % du PIB, une dette publique de 77 % du PIB ainsi qu’une dette extérieure de 558 milliards de dollars, qui ont provoqué la chute du real et peuvent à tout moment dégénérer en crise de la balances des paiements avec une fuite massive des capitaux. Ensuite, il a greffé un Etat providence de type européen sur une économie émergente faiblement productive, avec des transferts sociaux qui sont à la fois très coûteux – absorbant 55 % des dépenses publiques au détriment des fonctions régaliennes et des investissements – et inefficaces en termes de redistribution, puisque les 10 % les plus pauvres en perçoivent 31 % mais que les 10 % les plus riches en captent 23 %. Tout cela converge vers une faible gouvernabilité qui délégitime la démocratie et pousse une partie de plus en plus importante de la population à opter pour la sécurité contre la liberté et à céder à la tentation illusoire de l’homme fort.
Aucun des candidats en lice ne paraît en mesure de réaliser les réformes nécessaires pour reprendre le contrôle des finances publiques, assurer la survie du système de retraite, réorienter les dépenses publiques vers l’investissement et les dépenses sociales vers les plus pauvres. Le risque est donc élevé qu’il revienne aux marchés financiers de forcer les changements que les dirigeants et les citoyens n’auront pas eu le courage de débattre et d’entreprendre. Avec pour conséquence l’emballement des passions extrémistes.
Le Brésil est à un moment de vérité, balançant entre la démocratie et des formes autoritaires qui pourraient aller jusqu’au retour à une forme de dictature, comme entre 1964 et 1985. Son basculement dans le populisme provoquerait une onde de choc dans toute l’Amérique latine, dont il représente 60 % de l’économie.
(Chronique parue dans Le Point du 20 septembre 2018)