Chômage, migrants, populisme… L’Italie est une bombe armée et les tentatives du gouvernement pour rassurer ne peuvent faire illusion longtemps.
La terrifiante silhouette du pont Morandi, dressant ses ruines déchiquetées au-dessus de la ville de Gênes, est devenue le symbole de l’Italie. Comme dans l’entre-deux-guerres, la péninsule sert de laboratoire à la corruption de la démocratie avec la convergence des trois formes de populismes : extrême gauche avec le Mouvement 5 étoiles, extrême droite et sécessionnisme avec la Lega. En apparence, le gouvernement semble se rallier à une certaine modération avec l’abandon du projet de sortie de l’euro ou de la rupture avec les règles européennes de stabilité budgétaire. Dans la réalité, cette accalmie tactique annonce la tempête. L’Italie est une bombe armée par quatre détonateurs.
Le détonateur économique et financier, d’abord. L’Italie est prise en tenailles entre les promesses démagogiques de la coalition et les réalités économiques et financières. Le coût du programme est estimé entre 108 et 125 milliards d’euros – dont 50 milliards pour le remplacement de l’impôt sur le revenu par une flat tax de 15 % et 20 % ainsi que 17 milliards pour l’instauration d’un revenu universel. Ces mesures impliquent de porter le déficit public de 0,9 % à 6 % du PIB, ce qui entraînerait une explosion de la dette. L’économie italienne, enfermée dans une croissance molle et un chômage de masse touchant 10,4 % de la population active et 30,8 % des jeunes, est totalement incapable de financer ces dépenses. La violation délibérée du pacte de stabilité crée par ailleurs un risque de sortie de l’euro que les marchés ont immédiatement sanctionné sous la forme d’une hausse des taux d’intérêt et d’un retrait de 75 milliards d’euros de capitaux du pays au cours des seuls mois de mai et juin derniers.
Le détonateur des migrants, ensuite. La ligne dure fixée par Matteo Salvini en matière d’immigration, illustrée par l’interdiction du débarquement des réfugiés recueillis en mer, bénéficie d’un vaste soutien dans l’opinion italienne, la Lega étant désormais créditée de 32 % des intentions de vote contre 28% à M5S. Elle a créé un électrochoc dans l’Union européenne, qui est sortie du déni sans pour autant apporter de réponse opérationnelle sur les questions clés de l’accueil des réfugiés, du retour des déboutés dans leur pays d’origine, du contrôle des frontières extérieures.
Le détonateur du populisme, de surcroît. L’onde de choc de la crise migratoire et du rejet qu’elle provoque désormais auprès d’une majorité d’Européens est en passe de devenir le socle d’une alliance des populistes, qui a été mise en scène par la rencontre entre Matteo Salvini et Viktor Orban à Milan. Leur projet dépasse la gestion des flux migratoires ; il cible les valeurs fondamentales de la démocratie et de l’intégration européenne. Le ralliement au principe de la démocratie illibérale conduit par des hommes forts remet en question les institutions de l’État de droit. L’appel à une autre Europe fondée sur la seule souveraineté nationale enterrerait la construction communautaire et les politiques communes.
Le détonateur des élections européennes de mai 2019, enfin. Matteo Salvini entend transformer les prochaines en référendum sur l’immigration, afin d’obtenir une majorité au Parlement qui lui permettrait de reconfigurer l’Union. L’axe des populistes incarnerait ainsi les nations, leur identité et le changement contre le statu quo, le multiculturalisme et la bureaucratie de Bruxelles.
Il est vital de désarmer cette mécanique fatale pour l’Italie comme pour l’Europe. Les tentatives du gouvernement italien pour rassurer marchés et partenaires européens ne peuvent faire illusion. Son programme rend inéluctable un nouveau choc financier sur la dette, qui s’élève à plus de 2 300 milliards d’euros. La dégradation inévitable de la signature financière de l’Italie par les agences de notation accélérera l’envolée des primes de risque et s’étendra en crise bancaire. L’implosion financière de la troisième économie de la zone, qui comporte une dimension systémique contrairement à la Grèce, provoquerait une crise de l’euro plus violente encore qu’en 2009 qui ne pourrait s’achever que par l’éclatement de la monnaie unique.
La tragédie italienne est également exemplaire de la crise existentielle de la démocratie et de l’Union européenne. L’Italie a besoin de réformes plus que de slogans démagogiques et contradictoires. Mais l’Europe doit impérativement répondre aux causes profondes du populisme, à savoir la croissance molle, la paupérisation des classes moyennes, le contrôle de l’immigration et des frontières, la restauration de la sécurité intérieure et extérieure.
Défendre sous couvert de progressisme le statu quo et l’absence de contrôle de l’immigration contre les nations, c’est assurer la victoire des populistes. La démocratie et l’État de droit ne peuvent l’emporter dans le cœur et le vote des citoyens que si l’Europe est réconciliée avec les nations et réorientée vers la sécurité.
(Chronique parue dans Le Figaro du 10 septembre 2018)