Le colossal défi environnemental ne pourra être relevé que s’il est intégré à l’économie de marché. L’heure n’est plus au militantisme de façade.
La démission de Nicolas Hulot acte l’échec d’Emmanuel Macron dans la conduite de la transition écologique comme l’impasse de sa stratégie du « en même temps ». D’une redoutable efficacité pour conquérir le pouvoir, elle se révèle contre-productive pour l’exercer tant elle empêche de définir une ligne politique claire, indispensable pour moderniser la France dans une période de transformations historiques. Mais la responsabilité de Nicolas Hulot est aussi lourdement engagée. Dès sa nomination, il a choisi de rester un militant et n’a jamais assumé sa fonction de ministre. Il avait donné la priorité à la communication sur l’action, privilégiant la préservation de son image par rapport à l’intérêt de la France. Son départ fracassant ne parvient pas à masquer un bilan plus que mitigé, qui montre une nouvelle fois combien la vision idéologique de l’écologie interdit l’émergence d’une stratégie crédible pour préserver notre planète.
On ne peut assurément que partager le diagnostic dressé par Nicolas Hulot de l’accélération de la dégradation des écosystèmes de la Terre, son constat de la faillite des politiques mises en place et son appel à accélérer le rythme de la transition écologique.
L’urgence environnementale est au premier rang des risques du XXIe siècle. Près de la moitié des terres sont dégradées et les zones arides progressent, ce qui pourrait entraîner des pénuries d’eau pour la moitié de l’humanité. La déforestation compromet l’absorption du dioxyde de carbone. La hausse de la température et l’acidification des océans menacent la biodiversité. L’accélération de l’augmentation de la température de la Terre, qui serait de l’ordre de 4,5 °C à la fin du siècle par rapport au début de l’ère industrielle, en 1850, impliquerait une montée des eaux de 6 à 9 mètres, aboutissant à des centaines de millions de réfugiés climatiques et à l’extinction de la moitié des espèces. Le dérèglement du climat est un danger concret et immédiat. La preuve ? Durant l’année 2018 ont été établis de nouveaux records de chaleur dans l’hémisphère Nord. La preuve, encore ? La multiplication des catastrophes : incendies géants en Californie, au Canada, en Grèce ou au Portugal ; pluies torrentielles au Japon, en Inde et au Pakistan ; sécheresse en Russie, en Australie ou en Afrique australe ; ouragans en Asie et en Amérique du Nord.
Or la politique n’est pas parvenue à répondre à ces enjeux décisifs, ni au plan mondial, ni au plan européen, ni au plan national. L’accord de Paris sur le climat peine à survivre après le retrait unilatéral des États-Unis décidé par Donald Trump. La stratégie de transition énergétique de l’Europe, qui se voulait exemplaire, a fait naufrage, conjuguant bulle spéculative autour des énergies renouvelables, explosion des prix pour les consommateurs, arrêt de la baisse des émissions et renforcement de la dépendance énergétique, notamment vis-à-vis du gaz russe. La France conjugue décrochage de son économie en termes de développement et creusement du retard par rapport aux nations les plus avancées dans la transition écologique.
Mais loin d’apporter une solution à ces dysfonctionnements, la vision et la méthode portées par Nicolas Hulot se sont révélées inefficaces et dangereuses. La conception malthusienne de l’écologie, fondée sur la baisse de la population et de la croissance, constitue un mirage propre à une fraction des élites des pays riches. Le refus de l’économie de marché est indissociable de la paupérisation de la population, alimentant le populisme au nord et l’autocratie au sud. La priorité donnée aux interventions des États se heurte à leur surendettement, aggravé par le krach de 2008. La multiplication des lois et des réglementations – avec pour symbole absurde l’obsession d’introduire la protection de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution –, des impôts et des subventions ruineuses, le tout au service d’un discours culpabilisant, aboutit au désengagement des citoyens, voire à leur révolte, à l’image de la jacquerie contre l’écotaxe. La complaisance affichée envers les sectaires et les violents, à commencer par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, déstabilise l’État de droit et alimente la crise de la démocratie.
L’écologie doit donc cesser d’être une idéologie pour prendre la forme d’une stratégie soutenable. Elle doit se réconcilier avec le développement économique, le progrès social et la liberté politique, comme le montrent les pays d’Europe du Nord. À l’égal de la croissance, l’écologie doit devenir inclusive. Inclusion des pays du Sud qui devront réaliser près des deux tiers des investissements requis. Inclusion des villes et des collectivités décentralisées, qui sont en première ligne dans le déploiement des transports, de la fourniture d’énergie, de la construction de logements ou d’infrastructures. Inclusion des mécanismes de marché, notamment par l’instauration d’un prix mondial du carbone. Inclusion des entreprises et de la finance verte, et ce d’autant plus que le coût de la transition écologique – estimé à quelque 20 000 milliards de dollars d’ici à 2030 – excède largement les capacités financières des Etats. Inclusion de l’innovation et des technologies de l’information qui constituent un levier décisif notamment pour la gestion intelligente des villes, essentielle pour stopper l’artificialisation des sols. Inclusion des hommes par l’éducation et la mobilisation de la société civile.
On ne sauvera pas la planète contre l’économie marchande, mais avec elle. On ne sauvera pas la planète en se passant des hommes ou en les sacrifiant. La transition écologique a moins besoin de stars égotiques que d’un patient travail pour réaligner capital humain, capital économique, capital financier et capital environnemental.
(Chronique parue dans Le Point du 6 septembre 2018)