L’offensive de Trump porte ses fruits dans la guerre commerciale qui oppose les deux puissances. Mais la Chine développe son projet impérial.
Le 23 août, les États-Unis ont annoncé une hausse de 25 % des droits de douane sur 279 produits chinois représentant 16 milliards de dollars d’exportations. La cible ? Le plan Made in China 2025 à travers les semi-conducteurs, les technologies et les pièces détachées. La riposte chinoise a été immédiate, avec la taxation de 16 milliards de dollars de biens américains sélectionnés pour leur impact politique sur les parlementaires républicains, à l’instar des motos Harley-Davidson. Après les mesures protectionnistes de juillet, ce sont 100 milliards de dollars d’échanges qui sont touchés, ce qui diminuera le commerce international de 0,5 %. Donald Trump étudie pour l’automne une nouvelle hausse de 10 % des droits sur 200 milliards d’exportations chinoises, incluant le secteur des biens de consommation.
Derrière la dénonciation de l’excédent commercial chinois de 375 milliards de dollars pointent trois enjeux déterminants dans la rivalité entre les deux géants. Le premier concerne la technologie, où les États-Unis revivent le choc créé par le lancement de Spoutnik par l’URSS, en 1957, avec la découverte des progrès chinois dans l’espace, l’information et l’intelligence artificielle. Le deuxième touche la finance avec l’offre de Broadcom sur Qualcomm. Le troisième, stratégique, concerne la projection de puissance via le financement des investissements qui permet à Pékin de prendre le contrôle d’infra structures et d’actifs stratégiques, voire de pays, en s’adossant aux 3 200 milliards de dollars de réserves accumulés grâce aux excédents commerciaux.
L’offensive lancée par Trump a porté ses fruits. La croissance chinoise plafonne à 6 %. La Bourse de Shanghai a chuté de 20 %. La fuite des capitaux s’intensifie. La multiplication des projets dans le cadre des « nouvelles Routes de la soie », notamment au Pakistan, en Turquie ou en Éthiopie, se heurte au resserrement des contraintes financières. Au sein de la direction chinoise percent des critiques sur la revendication par Xi Jinping du leadership mondial et son impérialisme à visage découvert. D’aucuns jugent désormais la rupture avec la stratégie d’émergence prudente définie par Deng Xiaoping prématurée et dangereuse. De fait, elle explique pour partie l’élection de Trump et le virage protectionniste des États-Unis. La secousse a ainsi contraint Xi à réviser sa politique économique. Lui qui avait justifié son accession à la présidence à vie par la nécessité de réformer le modèle économique et de l’assainir en limitant l’addiction à la dette, en régulant la finance de l’ombre, en contrôlant les autorités régionales, est obligé d’arbitrer en faveur de la croissance en assouplissant la politique monétaire ainsi que les prêts aux gouvernements locaux et aux entreprises d’État. Les nouveaux emprunts bondissent ainsi de 75 % sur un an, ce qui renforce les risques de crise financière alors que les dettes dépassent 250 % du PIB. Riposte et soutien de l’activité passent aussi par la dévaluation compétitive du yuan. La Chine réserve pour l’heure le recours aux autres instruments de représailles (rétorsion contre les entreprises américaines, cession de bons du Trésor, embargo sur les métaux et les terres rares). Elle se trouve en effet contrainte par sa dépendance technologique, mise en lumière avec les sanctions envisagées, puis suspendues in extremis, contre ZTE. D’où une spectaculaire accélération de la montée en gamme de la production et des investissements dans les sciences et les technologies.
Pour autant, la Chine est très loin d’avoir perdu la guerre pour la croissance et les parts de marché mondiales. Certes, l’économie américaine renoue avec le dynamisme (croissance de 3,1 %, taux de chômage réduit à 3,8 %, hausse de 30 % de Wall Street, appréciation de 26 % du dollar face aux principales devises). Mais ce rebond, largement artificiel et éphémère, résulte des baisses d’impôts et du paradoxe qui voit les États-Unis jouer le rôle de refuge face à la montée des risques qu’ils génèrent par la guerre commerciale, la surenchère dans la course à l’endettement, la mise en place d’une relance en période de plein-emploi. Les prix, en hausse de 2,9 %, pèsent sur le pouvoir d’achat des ménages, tandis que les déficits public et commercial se creusent. Leur origine profonde se trouve en effet dans l’insuffisance de l’épargne des Américains et de la compétitivité de l’appareil de production, déséquilibres qui continuent à s’aggraver.
La Chine, à l’inverse, poursuit le renforcement de son économie. Elle atteint 19 % du PIB mondial, consolide sa prééminence dans le domaine de l’investissement avec quelque 7 000 milliards d’actifs et assure sa domination sur l’Asie-Pacifique, qui entre pour près de 60 % de la hausse des exportations. Au plan géopolitique, elle reprend méthodiquement les positions abandonnées par la diplomatie et les entreprises occidentales du fait des sanctions décidées par Trump et poursuit la construction d’un axe hostile aux États-Unis avec la Russie, la Turquie et l’Iran.
Dans un monde moins riche en croissance, plus instable et très dangereux pour les démocraties, Trump conduit la stratégie inverse de celle de Nixon et de Kissinger, dans les années 1970, qui rassemblèrent les démocraties et divisèrent le bloc marxiste entre l’URSS et la Chine : il fracture l’Occident, coupe l’Amérique de ses alliés et soude les démocratures. La Chine s’adapte et accélère sa conquête du leadership du XXIe siècle. Sous le slogan des nouvelles Routes de la soie, « One belt, one road », se dessine plus que jamais le projet impérial avec pour devise : « One world, one China, China number one ».
(Chronique parue dans Le Point du 30 août 2018)