L’affaire Benalla constitue un avertissement dont toutes les leçons doivent être tirées. Une occasion inespérée pour Emmanuel Macron de remettre son quinquennat sur de bons rails.
L’affaire Benalla marque un tournant dans le quinquennat d’Emmanuel Macron. Le bilan de la politique conduite depuis son élection reste largement positif. La dynamique de la réforme s’est imposée. La flexibilité du marché du travail et le début de normalisation de la fiscalité des entreprises et du capital ont ranimé l’activité. L’attractivité de la France a été confortée au moment où le Brexit et les populismes affaiblissent nombre de démocraties. L’éducation a engagé sa transformation, de l’école primaire aux universités. La confiance des Français a été rétablie et l’image de la France en Europe et dans le monde restaurée.
Mais le système de pouvoir est profondément dysfonctionnel, donnant raison à Lord Acton qui soulignait que « le pouvoir corrompt ; le pouvoir absolu corrompt absolument ». Le comportement d’Alexandre Benalla ne peut être réduit à une dérive personnelle. Il met en cause l’organisation de l’État, les principes qui gouvernent l’ordre public et le crédit que les Français peuvent accorder à ceux qui en exercent la responsabilité. La crise est majeure. Elle jette une lumière crue sur l’interprétation insoutenable de la Ve République faite par Emmanuel Macron : un autoritarisme et une hyper-concentration des décisions à l’Élysée inégalés ; la toute-puissance d’une technocratie dont auditions et enquêtes soulignent la perte de compétences et d’éthique ; le choix volontaire de gouvernants, de parlementaires et de responsables administratifs faibles, notamment dans le domaine régalien ; le refus de tout contre-pouvoir et le mépris affiché pour la société civile ; le gouvernement en vase clos d’un aréopage de jeunes courtisans sûrs d’eux-mêmes et dominateurs.
Tout ceci crée un régime où les mécanismes de l’État de droit sont désarmés et où la tentation de l’abus de pouvoir est permanente, inaugurée par la démission forcée du général Pierre de Villiers. Simultanément, trop de pouvoir tue le pouvoir, annihilant la capacité d’anticiper et de gérer les crises. L’affaire Benalla, qui a vu se succéder le déni, la sidération, la panique puis la surexposition du président, reste un cas d’école de naufrage dans l’action comme dans la communication. La chance veut qu’elle affecte le fonctionnement de l’État à son plus haut niveau mais n’engage pas l’intérêt national. De ce point de vue, elle constitue un avertissement sans frais dont toutes les leçons doivent être tirées.
Le mode d’organisation et d’exercice du pouvoir contribue en effet à l’insuffisance des résultats obtenus et à l’accumulation d’un lourd passif politique qui menacent le redressement de notre pays. Sur le plan économique, la compétitivité des entreprises continue à se dégrader ; le chômage repart à la hausse, touchant près de 6 millions de personnes ; les dépenses et la dette publiques poursuivent leur course folle. Sur le plan de la nation, l’immigration et l’islam demeurent des angles morts, en attente d’une stratégie. Le projet de refondation de l’Union européenne et de la zone euro a été tué dans l’œuf par l’onde de choc populiste qui a touché l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie ainsi que par l’alignement de l’Europe centrale et orientale autour de la démocratie illibérale. Enfin, le pari de nouer une relation particulière avec Donald Trump pour contenir le tournant protectionniste et unilatéraliste des États-Unis a spectaculairement échoué.
Cet été meurtrier représente donc une occasion inespérée pour Emmanuel Macron de remettre son quinquennat sur de bons rails. Et ce d’autant que les bouleversements inouïs du monde rendent caducs de larges pans de son projet présidentiel.
Le moment français n’est pas perdu. Emmanuel Macron dispose encore d’une chance pour réformer la France et s’affirmer comme le leader de l’Europe et d’une certaine idée de la liberté. Mais cela implique de sa part un examen de conscience et une profonde remise en question de sa stratégie et de sa méthode afin de renouer le fil coupé de son quinquennat. La posture du « en même temps », très efficace durant la campagne, devient contre-productive dans un environnement qui s’est terriblement durci : présider, c’est désormais choisir des valeurs et une ligne politique claire. La priorité doit être donnée à la modernisation du modèle français qui ne viendra pas de la croissance mondiale ou de l’Europe mais ne peut être réalisée que de l’intérieur. L’heure n’est plus à la multiplication des images et des discours à l’étranger mais à la réponse aux attentes concrètes des Français en matière de revenus, d’emplois, d’éducation, de santé et de sécurité, de baisse des impôts et des dépenses publiques afin de lutter contre les causes profondes du populisme.
Pour cela, il est essentiel de réinvestir dans l’État régalien, totalement sinistré, et d’accepter l’existence de contrepouvoir, ce qui implique l’abandon des projets inutiles et dangereux de révision constitutionnelle guidée par l’antiparlementarisme ou de loi sur les « fake news ». Le dialogue doit aussi être rétabli avec la société civile, les élus et les territoires, les France périphériques dont la colère peut à tout moment dégénérer en violences. En bref, l’inévitable renouvellement des hommes ne sera efficace que s’il s’inscrit dans un profond changement d’état d’esprit : on ne réforme pas seul contre tous un pays comme la France.
Emmanuel Macron est plus que jamais investi d’une responsabilité historique : il constitue l’ultime chance de moderniser la France avant qu’elle ne bascule dans l’extrémisme, dont le risque est d’autant plus élevé que les forces politiques traditionnelles ont été détruites. Emmanuel Macron a été l’homme d’une élection introuvable ; il lui reste à devenir l’homme de la nation. Il lui faut pour cela rompre avec le bon plaisir du prince pour renouer avec les devoirs de sa charge et le mandat réformateur reçu des Français.
(Chronique parue dans Le Figaro du 30 juillet 2018)