Le continent est écartelé entre le dynamisme économique du Nigeria ou du Rwanda et la violence extrême qui dévaste le Sahel.
Le destin du XXIe siècle se jouera largement en Afrique, qu’il s’agisse de démographie, de développement, de réchauffement climatique ou de sécurité. De ce point de vue, le voyage d’Emmanuel Macron en Mauritanie puis au Nigeria est révélateur des défis que doit relever le continent et du double visage qu’il présente. La visite à Nouakchott fut entièrement consacrée à la lutte contre le djihadisme, trois jours après l’attentat-suicide de Gao qui a grièvement blessé quatre soldats français et provoqué de nombreuses victimes civiles. Cette nouvelle attaque met en lumière la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel. D’un côté, l’Etat islamique accentue sa pression tout au long d’un axe qui s’étend du Sinaï au Nigeria. De l’autre, l’opération Barkhane est de plus en plus mal acceptée par les populations civiles, tandis que la force régionale du G5 Sahel (Mauritanie, Burkina, Mali, Niger et Tchad) peine à devenir opérationnelle.
Au Nigeria, priorité a été donnée à l’économie et à la culture sur la politique, à Lagos sur Abuja. Avec pour point d’orgue la soirée au New Afrika Shrine, temple de la légende de l’afrobeat, Fela Kuti, où Emmanuel Macron a lancé la Saison africaine prévue en 2020 en France. Le Nigeria s’est en effet imposé comme la première économie du continent, devant l’Afrique du Sud, et Lagos comme l’une des villes-mondes du XXIe siècle. La mégalopole compte 20 millions d’habitants, alphabétisés à 96 %, qui disposent d’un revenu moyen de plus de 5 000 dollars par tête ; elle en attend 30 millions à l’horizon de 2040.
L’enjeu démographique est sans précédent dans l’Histoire. L’Afrique abritait 150 millions d’habitants en 1930 et en accueille 1,3 milliard aujourd’hui, dont 40 % ont moins de 15 ans. Ils seront 2,5 milliards en 2050 et 4,5 milliards en 2100, soit 40 % de la population mondiale. Le taux de fécondité s’élève en moyenne à 4,5 enfants par femme, contre 2,4 dans le monde. Le continent est par ailleurs particulièrement vulnérable au réchauffement climatique, ainsi que le souligne l’expansion de plus de 10 % du Sahara depuis 1920.
Au plan économique, l’Afrique a connu un tournant décisif à partir de 2000. Elle a enclenché son décollage avec une croissance de 5,5 % par an, l’émergence d’une classe moyenne, qui rassemble 15 % de sa population, la réduction de la pauvreté, qui a reculé de 57 à 43 % en vingt ans. Après un brutal coup d’arrêt au début des années 2010, la croissance accélère à nouveau pour atteindre 3,4 % en 2018 et 3,6 % en 2019, dépassant 5 % dans nombre des 54 pays africains et culminant à 8,5 % en Ethiopie et 7,4 % en Côte d’Ivoire. De nombreux problèmes subsistent, liés à la pénurie d’infrastructures, à la fragmentation du marché, à la pauvreté, qui touche 550 millions de personnes, ou à la montée rapide de la dette publique de 30 à 50 % du PIB depuis 2013. Mais la conversion du modèle économique de l’économie de rente vers l’économie de production, de l’économie administrée vers l’économie de marché, de l’économie néo coloniale vers l’économie globale se poursuit. À preuve, les pays les plus dynamiques (Ethiopie, Rwanda ou Ghana) ne sont pas les mieux dotés en matières premières, tandis que les échanges avec la Chine, l’Inde ou le Brésil explosent, témoignant de l’insertion dans la mondialisation.
Par ailleurs, l’avenir de l’Afrique ne doit pas être pensé au seul prisme des migrations, qui restent majoritairement internes au continent, en direction des pôles de croissance que constituent le Nigeria, l’Afrique du Sud ou la Tanzanie.
L’issue de la course de vitesse engagée entre le développement et la violence dépend avant tout des Africains. Il existe un cercle vertueux entre le progrès économique, l’Etat de droit et la sécurité. Des réformes considérables sont requises pour stimuler l’investissement, notamment dans les infrastructures et les technologies, pour lutter contre la pauvreté, pour endiguer la corruption qui préempte un quart des richesses et pour garantir la paix civile – ce qui passe par le refus de l’autocratie. Simultanément, l’intégration du continent doit être accélérée avec la mise en œuvre prévue en 2019 de la zone de libre-échange continentale, qui couvre 44 pays et 1,2 milliard de consommateurs et qui permettra l’essor du commerce intra-africain, aujourd’hui limité à 18 % des échanges.
Si l’Afrique n’a pas besoin de tuteurs, elle mérite d’être aidée, notamment par l’Europe, afin de consolider son décollage économique – par la création d’une banque euro-africaine de développement –, de développer la coopération régionale et de conforter sa stabilité face à l’offensive djihadiste. Elle constitue par ailleurs un formidable gisement de croissance. Voilà pourquoi l’Europe doit s’engager dans un partenariat stratégique global avec l’Afrique qui intègre la sécurité, le développement, l’environnement, la gestion des migrations et l’éducation, notamment celle des filles, qui est essentielle pour la maîtrise de la démographie comme pour le progrès économique et social. Nelson Mandela aimait à juste titre rappeler que « l’éducation est l’arme la plus puissante pour transformer le monde ».
(Chronique parue dans Le Point du 12 juillet 2018)