La crise a favorisé l’arrivée au pouvoir d’hommes forts prétendant privilégier l’égalité et la sécurité au prix du sacrifice de la liberté.
Après la décennie perdue des années 1990, l’Amérique latine avait bien débuté le XXIe siècle. La situation est aujourd’hui tout autre. Certes, le continent retrouve le chemin du développement après plusieurs années de récession. Pour autant la reprise reste fragile.
L’Amérique latine subit de plein fouet les trois chocs initiés par les États-Unis. La montée conjuguée du dollar et des taux d’intérêt met sous pression les États endettés en devises étrangères, à l’image de l’Argentine, du Chili, de la Colombie, du Brésil ou du Mexique, tout en provoquant une fuite massive des capitaux. La hausse des prix du pétrole vers 75 dollars le baril, accélérée par les sanctions contre l’Iran, soulage les producteurs d’hydrocarbures, notamment le Brésil et le Mexique, mais pénalise les pays importateurs, tel le Chili. Surtout, l’Amérique latine est très vulnérable à la guerre commerciale lancée par Trump : le Mexique, dont 80 % des exportations sont dirigées vers les États-Unis – générant un excédent de 104 milliards de dollars -, pourrait perdre jusqu’à 10 % de son PIB.
La tempête économique provoquée par le tournant protectionniste et isolationniste des États-Unis a pour pendant le réveil du populisme dont la tentation, incarnée par le péronisme, reste permanente.
L’ombre portée de Cuba n’a pas disparu avec la succession des frères Castro, qui ne se traduit pas pour l’heure par une véritable ouverture économique ou politique.
Le Venezuela chaviste poursuit sa descente aux enfers. La mascarade de la réélection de Nicolas Maduro le 20 mai n’apporte aucune solution à la débâcle du socialisme du XXIe siècle, qui a mis en faillite l’un des pays les plus riches d’Amérique latine, dont les réserves de pétrole dépassent celles de l’Arabie saoudite. La croissance a chuté de 45 % en trois ans. L’inflation culmine à 18 000 %. La population vit à 85 % en dessous du seuil de pauvreté. La société est livrée au chaos jusqu’ à contraindre à l’exil 4 millions de Vénézuéliens sur 32, provoquant une crise humanitaire dans l’ensemble du continent.
Au Nicaragua, Daniel Ortega a également installé une dictature d’inspiration chaviste qui, après avoir effondré l’économie et paupérisé la population, réprime sauvagement les manifestations de l’opposition au prix de plus de 220 morts en deux mois.
La Colombie, quatrième économie du continent dotée d’immenses richesses naturelles, a élu le 17 juin Ivan Duque par 54 % des voix contre Gustavo Petro, candidat chaviste. Il entend donner la priorité à la restauration de l’État de droit, à la lutte contre la corruption, à la diminution des impôts et des dépenses publiques. Mais il devra relever les défis du retour à la paix civile, à la suite des accords signés en 2016 avec les Farc, de l’accueil d’un million de réfugiés vénézuéliens, de l’essor du narcotrafic alors que les surfaces agricoles consacrées aux plantes psychotropes ont quadruplé depuis 2012, enfin du protectionnisme américain.
Au Mexique, la victoire le 1er juillet du champion de la gauche, Andrès Manuel Lopez Obrador, qui dispose de la majorité à l’Assemblée, ouvre une période de grande incertitude. L’alternance est salutaire dans un pays rongé par les inégalités, la corruption et une violence sortie de tout contrôle avec 25 339 meurtres en 2017. Mais les promesses du nouveau président qui prendra ses fonctions en décembre demeurent très floues. Il n’a rien dit de la manière dont il compte endiguer la corruption et la violence. Le coût des multiples aides sociales dépasse 25 milliards de dollars. Ce programme, en raison du refus des hausses d’impôts, est censé être financé par la lutte contre la corruption, ce qui paraît irréaliste. Nul ne sait donc à ce stade si le nouveau président se révélera un réformiste pragmatique ou un autocrate populiste. La seule certitude demeure que ses relations avec les États-Unis de Trump s’annoncent tumultueuses.
L’Amérique latine est exemplaire de la crise de la démocratie, d’autant plus vive qu’elle est souvent récente et mal consolidée sur le continent. Les causes de la colère des peuples qui emporte les partis et les dirigeants traditionnels sont connues : le mal-développement, les inégalités, la corruption et la violence, qui ampute le continent de 3,5 % de sa richesse. La tentation populiste s’est réveillée, qui voit des hommes forts prétendre privilégier l’égalité et la sécurité au prix du sacrifice de la liberté. Elle relève cependant d’une grande illusion, comme le montrent à l’envi le Venezuela ou le Nicaragua : l’abolition de la liberté et de la dignité des hommes est bien réelle ; mais la promesse du développement et de la sécurité se réduit à la misère pour tous et à la guerre civile.
(Chronique parue dans Le Figaro du 09 juillet 2018)